Celia S. Friedman

L’Aube
du soleil noir

Roman, SFFF

Publié le 24 février 2000

Un roman arbitrairement coupé en deux pour la publication en France : c’est triste, mais on est maintenant mithridatisé… L’univers fascinant dans ses concepts emprunte à la Science Fiction, à la Fantasy mais également au Fantastique. Bref un vrai roman de SFFF qui à l’image d’un Roger Zelazny nous transforme un Planet Opera en Fantasy gothique (entre Cours du Chaos et Terres Changeantes, difficile en lisant C.S. Friedman de ne pas penser au maître américain).

Erna est une planète enveloppée par le fae, un champ d’énergie psychoréactif. On peut agir sur lui consciemment ou inconsciemment, personnellement ou collectivement. Sauf que la configuration astronomique et géologique de la planète avec ses marées imprévisibles, ses éruptions solaires, ses secousses sismiques et ses éclipses à répétition rendent particulièrement instables 4 sortes d’énergie magique : fae des marées, fae solaire, fae tellurique et fae obscur.
Pour les indigènes racks cela consiste à un processus d’évolution accéléré puisque les désirs influent sur le réel.
Pour les colons humains, cela consiste à la matérialisation de leurs rêves et de leurs cauchemars. D’où l’apparition et le développement de démons et de merveilles qui constituent autant d’espèces invasives pour les indigènes certes, mais aussi autant de dangers mortels pour les humains dès que la nuit tombe… car après tout l’imaginaire collectif en a fait des créatures de la nuit !
L’auteure met ainsi en scène toute une faune nocturne de symbiotes / parasites qui s’est structurée autour d’une nouvelle écologie alimentaire : les goules se nourrissent de chair, les vampires de sang, les succubes de semence, les lamies de sentiments, et quelques autres saloperies de peur, de souffrance ou de souvenirs… et toute une économie de talismans magiques s’est développée pour s’en protéger ou pour canaliser les effets du fae.
On retrouve aussi des thèmes plus habitués à la SF qu’à la Fantasy : le rapport entre colonisateurs et colonisés, entre acculturation et contre-acculturation, mais aussi entre écologie et environnementalisme.

Si le background est élaboré, on y entre avec une intrigue plutôt simple : une enquête se mue en une quête qui mène les héros en territoire ennemi vers la forteresse du mago psycho. Mais niveau personnages c’est plus les têtes que les jambes avec un inquisiteur magicien, un vampire sorcier, une sorcière ethnologue et un apprenti adepte.
Finalement, de nombreux passages du roman fleurent bon la littérature gothique : on retrouve la noire forêt, le sombre château, les inquiétants serviteurs appelant leur maître monseigneur y compris un Igor albinos et les loups maléfiques… mais aussi le sombre charisme, les pouvoirs hypnotiques, les métamorphoses et bien sûr la crainte de la lumière du jour. Du coup la relation Damien Vryce / Gérald Tarrant c’est peu la relation Van Helsing / Dracula revisitée ! Encore que, entre tension et connivence on peut aussi penser à la relation Louis / Lestat d’Anne Rice…
A eux deux, ils vampirisent le dramatis personnae, ne laissant que peu de place à Ciani Faraday qui dans son rôle de damoiselle en détresse qui fait un peu potiche sur les bords et Senzei Rise qui ne sert pas à grand chose dans son rôle de 5e roue du carrosse, puisque l’éclaireuse rack Hesseth fait déjà office de 4e roue…
Du coup passé un cap je me demandais si je n’aurais pas préféré qu’on développe à fond le duo formé par l’inquisiteur magicien et le vampire sorcier qui rappellent de bons souvenirs de BD, comics, manga. En effet Gérard a tout du badass parfois ultralimite qui a intégré dans les années 1980 les codes du shonen avec Ikki dans Saint Seiya et Végéta dans Dragon Ball. Il est détestable à souhait avec ses appétits de sociopathe et son humour noir, mais on ne peut jamais le haïr totalement…

Nous connaissons tous des tentations. Mais notre capacité à nous élever au-dessus d’elles, à servir un idéal plutôt que nos bas instincts, n’est-ce pas cela qui nous définit ?

J’ai d’abord cru que la traduction d’Alain Robert ne collait pas au style, mais comme les belles descriptions architecturales ou paysagères on les doit autant à l’auteur qu’à son traducteur, c’est bien que la mal est plus profond qu’une erreur de casting dans la VF…

Cela pêche au niveau de l’exécution.
Déjà impossible de savoir si on est dans une narration à la 1ère ou à la 3e personne : on voit l’essentiel de l’action à travers les yeux de Damien, mais on sent l’auteur tentée de faire de même à travers ceux de Gérald.
Je n’ai pas trouvé de véritables longueurs malgré quelques flottements dans le trek en pays Rack et des redondances dans l’expression des sentiments de Damien (oui on sait qu’il aime Ciani, oui on sait qu’il hait Gérard). Mais le rythme n’est pas satisfaisant pour autant : grosso modo la La Cité noire fait 100 pages, Le Donjon de la nuit en fait 200 et La Citadelle des tempêtes 300… Donc on ralentit au lieu d’accélérer : cela ne va pas. De la même manière le chapitrage n’est pas satisfaisant : des passages de plusieurs dizaines de pages alternent à des passages de 1 à 5 pages… A ce niveau autant réaliser des interludes en bonnes et dues formes pour dynamiser la lecture…

Il a des discontinuités narratives peu agréables à plusieurs niveaux.
Damien flirt avec Ciani. Une ellipse plus loin ils sont les amants d’un soir. Une ellipse plus loin c’est l’amour fou et Damien est prêt à partir au bout du monde et à risquer sa vie pour sa dulcinée.
Il y a cette manière un peu bizarre de faire entrer et sortir les personnages du récit. Sensei est mis en avant, puis en retrait, puis en avant… Et dans la mesure où on voit bien qu’il tient la chandelle, le passage sur sa campagne avant de départ des quêteurs était-il nécessaire car nul mention de son existence par la suite ???
Et parfois on fait également référence à des événements si peu ou si mal traités auparavant qu’on se sent obligé de retourner en arrière pour vérifier s’ils ont véritablement existé.
Globalement l’auteure titille notre imagination avec son worldbuilding mais ne nous nous en offre pas toujours assez pour bien tout se représenter, ainsi on nous explique ce que sont les métachevaux et les néochats, mais pas que ce sont les xandu…
Niveau magicbuilding, on nous balance avec une belle régularité des termes techniques tels qu’Appels, Assemblages, Auditions, Bannissements, Blocages, Boucliers, Connaissances, Divinations, Ecrans, Effacements, Élaborations, Guérisons, Invocations, Occultations, Perceptions, Protections, Visions… sans jamais expliquer comment cela tout fonctionne à l’usage. Heureusement que la plupart des noms de sortilèges sont signifiants car il faut bien 400 pages pour comprendre le concept clé des Influx : à travers le fae, l’esprit peut modeler le réel selon ses besoins.
Et on supposera que les concepts faustiens des sombres divinités et des sacrifices à leur effectuer seront expliqués dans les suites…

Arrivé à un moment les incohérences pointent leur nez…
Le Feu Solaire ? on l’a, on l’a plus, on l’a quand même, mais finalement on l’a plus… Le guide rack cavernicole ? il est là, il n’est plus là, il est de retour, il est disparu… La mystérieuse cavalière de la 2e partie : à l’arrivée un sacré WTF ! La compagnie fait des coups de poker sur sa survie en extrapolant sur la théorie de l’évolution de Darwin… WTF ! Et au final la compagnie s’en sort uniquement parce que le supervilain ne sait pas compter… WTF ! Quelles sont les motivations du supervilain ? la gourmandise, mais c’est tellement peu explicité qu’il faut le deviner. Quelles sont les motivations de Gérard Tarrant ? la curiosité, mais c’est tellement peu explicité qu’il faut le deviner. D’ailleurs le supervilain est un non seulement un mago psycho classique, mais en plus est l’objet d’un whodunit assez bancal.
On a même droit à des erreurs dans les noms assez pénibles (ainsi Calesta désigne à la fois un démon et une lune, et parfois il faut être attentif pour savoir de qui/quoi on parle au final…).

Rien de mauvais voire de même de vraiment moyen mais les belles qualités sont gâchées par les gros défauts. En fait je ne veux pas accabler l’auteure américaine car ces maladresses parfois coupables car facilement évitables n’auraient jamais passé le cap des corrections avec un éditeur sérieux : le potentiel n’est que partiellement exploité et tout aurait pu être amélioré. C’est nettement au-dessus de ce qui se faisait en Fantasy dans les années 80, mais ce n’est pas assez abouti pour emporter l’adhésion du plus grand nombre : les easy readers peuvent trouver cela très plaisant fascinant, les hardcore readers peuvent trouver cela très frustrant. A vous de vous faire votre opinion, mais moi j’ai apprécié. Et on attend toujours la suite du cycle en français…

note : 7/10

Alfaric

Parce que notre avis n’est pas le seul qui vaille, quelle note mettriez-vous à cet ouvrage ? [ratingwidget post_id=3107]

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