Clive Barker

Coldheart Canyon

Roman, fantastique / horreur
Publié en VF en 2004 chez J’ai Lu
Publié en VO en 2001 chez HarperCollins (« Coldheart Canyon »)

Star de cinéma sur le déclin, Todd Pickett décide, afin de s’acheter quelques mois supplémentaires au sommet du box office, de recourir discrètement à la chirurgie esthétique. Le résultat, catastrophique l’oblige à trouver en urgence une demeure à l’écart du feu des projecteurs. Ce sera Coldheart Canyon, l’ancienne résidence de Katya Lupi, gloire de l’âge d’or hollywoodien dont on disait qu’elle y donnait autrefois des soirées de débauche très prisées par le gotha mondain. De découvertes étranges en surprises macabres, Todd s’apercevra, à ses dépens, que les rumeurs étaient bien en deçà de la réalité.

Poète de la noirceur, Clive Barker est souvent qualifié d’Edgar Allan Poe contemporain… Il l’est sans doute davantage que son émule Stephen King, mais Clive Barker est avant tout Clive Barker, un Anglais de Liverpool d’ascendance irlandaise par son père et italienne par sa mère, romancier, dramaturge, peintre, sculpteur, photographe et cinéaste spécialisé dans le fantastique horrifique mais pas que (domaine dans lequel il fait référence au vu de sa grande influence)… Il correspond parfaitement à l’appellation démons et merveilles !

Années 1920, la Duchesse des Chagrins Katya Lupi est une star du cinéma muet qui fait un pèlerinage dans son pays natal tandis que son imprésario Willem Matthias Zeffer désespérément amoureux d’elle cherche un cadeau à lui offrir pour gagner ses faveurs. Nous sommes en Roumanie, terre de mystères, de démons et de merveilles et il découvre dans la Forteresse du Duc Goga gardée par les moines de l’Ordre de Saint-Teodor une œuvre qui dépasse ses espoirs les plus fous. Les moines sont bien contents de se débarrasser de ce qu’ils considèrent comme impie et maudit, dans ce lieu où selon eux résida Lilith la femme du Diable. Le chef-d’œuvre qui sent le souffre est rapatrié en Amérique, où il assure le succès mondain de la vamp avant de déclencher une épidémie puis une hécatombe dans le tout Hollywood…

Années 2000, Todd Pickett la star du cinéma d’action est sur la pente descendante et il se sent de plus en plus dans la peau du vieux gladiateur dont les forces déclinent alors que celles des jeunes gladiateurs ne font qu’augmenter… Pas de bol, son réalisateur fétiche meurt avant le grand coup devant relancer sa carrière et son producteur, une petit crevard ravi d’abuser de son pouvoir et son argent pour exercer sa domination sur les autres (toutes les allusions à des faits ayant défrayé la chronique sont absolument volontaires), se fait une joie de lui imposer un ultimatum : c’est le bistouri ou la retraite ! Mais l’opération de chirurgie esthétique est un désastre : Todd Pickett est obligé de se cacher son visage et son corps dans une résidence abandonnée des collines d’Hollywood appelée Coldheart Canyon, victimes à répétition d’étranges événements..

L’idée du roman Coldheart Canyon c’est de lier les destins de la vraie vamp d’hier et du faux action man d’aujourd’hui, et c’est à travers les yeux de Todd Pickett que les mystères de Coldheart Canyon et du Royaume du Diable nous sont révélés, ainsi qu’à sa vindicative agente Maxine Frizelle et à sa groupie passionnée Tammy Lauper qui bon gré mal gré gravitent autour de lui et l’accompagnent pas à pas dans sa descente aux enfers. Clive Barker connaît les vibes du genre horrifique comme personne et il ajoute à sa casquette de dramaturge tous les talents qu’il a acquis dans les arts visuels (c’est ainsi qu’est apparu le « body horror » dont il est l’un des pères fondateurs sinon le père fondateur) : la style est élégant et émaillé de descriptions évocatrices voire de haute volée (ah je remercie le traducteur Jean Esch pour les trompe-l’œil artistiques du Royaume du Diable !). Le rythme est joliment maîtrisé car nous autres lecteurs sommes comme des grenouilles sur le feu, et quand l’eau se met à bouillir il est trop tard depuis bien longtemps déjà pour espérer songer à fuir… Il mêle évidemment à son histoire une critique au vitriol de la la célèbre usine à rêves américaine surnommée par ses détracteurs Tinseltown, qui depuis un siècle transforme de vrais salauds en faux héros, avec des business plans bien rodés comme bourrage de crâne et la loi silence comme filet de sécurité (remember l’affaire Harvey Weinstein, qui n’est sans doute que la partie émergée de l’iceberg). Pour lui elle n’a jamais été innocente, elle a toujours été pourrie et il se fait une joie d’utiliser démons et merveilles pour dézinguer le Hollywood d’hier et l’Hollywood d’aujourd’hui en alternant scènes du quotidien, drames psychologiques, scènes érotiques et scènes gores…

C’est ainsi que se noue une étrange relation entre la prétendue reine des ténèbres et le prétendu héros. Katya Lupi est une Foutue Au Berceau prostituée par sa mère et violée par ses frères, qui corrompt tous ceux et toutes celles qu’elles rencontrent pour mettre le monde entier à son niveau tout se perdant elle-même dans un sadomasochisme bisexuel et permutant.
Mais son plus grand désir est de retrouver la part d’innocence qu’elle a perdue contre son gré, et elle s’est persuadée que Todd Pickett qui a connu les mêmes tentations qu’elle est son âme sœur (car son prince charmant est resté suffisamment humain pour pleurer la mort de son chien). C’est une histoire aussi factice que celles qui sont fabriquées par Hollywood, mais c’est surtout une histoire d’amour aussi tordue que celle d’Hella et Thor chez Marvel Comics où la déesse des enfers qui règne sur les lâches, les traîtres et les criminels est aussi une femme qui rêve d’aimer et d’être aimée par un beau héros aux bras musclés…

N’appelait-on pas parfois le Diable le Père des Mensonges ? Si lui et son œuvre avaient une place quelque part, c’était probablement, ici à Hollywood.

Mais avant d’être dans une histoire de fantômes on est dans un récit Portal Fantasy, et c’est là que le bât blesse car si l’auteur à un imaginaire incroyable, il reconstitue ici une Boîte de Lemarchand dont les pièces s’ajustent pas spécialement bien… et c’est partie pour la Zone Spoilers !

Pour plusieurs raisons j’ai davantage eu l’impression de lire un assemblage de nouvelles qu’un roman. La division du récit en 10 parties joue un peu, d’autant plus que l’auteur pousse le vice jusqu’à chapitrer le prologue et l’épilogue. Mais surtout la partie « maison hantée » et la partie « Portal Fantasy » ne sont pas bien agencées et pas bien connectées car finalement tout n’est que concours de circonstances ! La coupole mosaïquée s’est retrouvée dans les collines d’Hollywood par caprice, et l’éternelle jeunesse et la puissante addiction qu’elle génère chez tous ceux qui sont autorisées à y pénétrer par son détenteur ne sont finalement que des effets secondaires de la malédiction qui y est liée (phénomènes qui se contrefoutent frontières de la vie et de la mort)… Elle constitue une porte vers un univers de poche situé hors du temps et plongé dans une perpétuelle éclipse (clin d’œil à l’Occultation de Berserk, son auteur Kentaro Miura étant l’un des plus grands fans de Clive Barker dans le monde ?). Toute la partie Portal Fantasy est un conte de fée noir ressemblant à un détournement du mythe de la Chasse Sauvage : les nobles meurtriers de Qwaftzefoni le 77e enfant du Diable et de Lilith sont condamnés à courir éternellement tant qu’il n’auront pas retrouvé ce dernier ramené à la vie par la véritable reine des ténèbres, car ils sont eux-mêmes éternellement pourchassés par les créatures infernales qu’elle a placées tout spécialement à leur intention dans ce faux Jardin d’Éden. Les fantômes des stars dont je ne vous ferai pas la liste sont donc bloqués à son entrée par les sortilèges roumains de Katya Lupi qui règne sur un cour de revenants junkies qui essayent de tromper leur addiction en se perdant dans de perpétuelles expériences sexuelles. L’auteur tease à mort sur toutes les horreurs qui sévissent dans l’autre monde quand Lilith leur lâche la bride, mais finalement il ne se passe rien puisque la malédiction est levée par Tammy Lauper qui joue le rôle de l’innocente puisqu’elle est la seule personne du roman éloignée de la pourriture hollywoodienne. Le tragique dénouement n’est que la résultante de la cessation des effets de la malédiction, qui se traduit par une course poursuite agrémentée de cache-cache dans la maison hantée pour hâter ou empêcher les fantômes en état de manque de se précipiter pour la curée…

Et si le récit qui a pour fils rouge la satire sociale est bien ponctuée par le sexe et la violence, son narrateur Todd Pickett en reste du début à la fin le spectateur et non l’acteur. Car tout est entièrement portée par les femmes (Maxine la working girl, Tammy la strong independant woman, Katya qui est une self-made women qui s’est faite elle-même dans un monde d’hommes, et même Lilith qui semble avoir divorcé de Satan en assez mauvais termes), et les rebondissements tiennent essentiellement à ce que tout le monde sauf lui semble atteint du Syndrome de Barbe-Bleue. Ajoutons à cela que les créatures des jardins de Coldheart Canyon qui semblent sortir de L’Île du Docteur Moreau auraient bien mieux eu leur place parmi les démons et les merveilles du Royaume du Diable, et l’auteur qui pousse le vice à raconter encore autre chose dans une longue dernière partie dans laquelle le fantôme de Todd Pickett est pourchassé par un ange qui veut le récupérer pour l’amener là où il doit aller (et je passe sur le twist de l’accident de voiture qu’on nous ressert plusieurs fois !). Bref, j’ai quand même eu l’impression d’avoir lu plusieurs récit qui à l’origine avaient / auraient dû être autonomes et que l’auteur a fusionné pour réaliser un roman…

 

Il aurait été plus efficace d’avoir d’abord la maison hantée comme faux Jardin d’Eden, puis le Royaume du Diable qui entre enfer et paradis est un vrai Purgatoire, et enfin l’empire des ténèbres où l’auteur laisse dormir des horreurs cauchemardesques dont finalement on ne verra jamais le bout du nez… Mais j’imagine que dans ce cas, il aurait été trop proche du schéma d’Hellraiser ? C’est dommage !

note : 6,5/10

Alfaric

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