Patrice Quélard

Fratricide

Roman, histoire
Publié le 03 février 2017 chez Les Amazones
PRIX DES LAURIERS D’OR 2017

1915 – premier grand conflit mondial.
James Mac Kendrick est nord-irlandais et catholique. Sur un coup de tête, il s’engage dans une unité de soldats protestants de sa province et va découvrir que son pire ennemi n’est peut-être pas là où il croyait le trouver. Émile Buffet est un conscrit français et un jeune homme bon vivant, transpirant l’assurance. Face aux horreurs de la guerre, il tente de résister jusqu’au jour où une lettre lui parvient et le fait vaciller. Ludwig Halpern est un sous-officier allemand promis à une carrière militaire d’exception et fait partie des rares à trouver une forme d’épanouissement personnel dans cette guerre. Ces trois hommes l’ignorent encore, mais la barbarie de la guerre et de ses marionnettistes va lier leurs destins à tout jamais.

C’est suite à mes remarques sur le manque d’ambition et la mollesse (il me semble que j’avais même utilisé le mot « médiocrité ») des romans historiques français se limitant trop souvent à des chroniques romancées et surtout romanesques qu’un babeliote a voulu me détromper en m’envoyant son poulain intitulé Fratricide, un beau pavé de presque 600 pages bien tassées et bien remplies : il a très bien fait, et je l’en remercie grandement !

La grande idée de l’auteur est de faire un livre sur la guerre contre la guerre, et ce avec humanité pour ne pas dire avec humanisme, il choisi la WWI et vu la profusion d’œuvres sur le sujet, parfois de qualité et ce quel que soit le média usité, il fallait être sûr de son coup ! Et pour le coup c’est bien écrit et bien construit, très documenté et très engagé.

Affiche

Certains y on vu l’esprit Tardi, mais en cinéphile averti j’ai vu la rencontre de La Grande Illusion de Jean Renoir et de La Ligne rouge de Terence Malik (ici transposée de la WWII et à la WWI), où l’auteur envoie le paysan conscrit Emile Buffet, l’ouvrier volontaire James Mac Kendrick et le bourgeois militaire de carrière Ludwig Hapern patauger dans les tranchées pour découvrir les horreurs de la guerre moderne où les soldats ne sont que de la chair à canon, et celles de la guerre d’usure où hommes et femmes ne sont que des ressources humaines corvéables et sacrifiables à merci. Et tout le monde est privé de la vérité par la censure et la propagande des journalopes des médias prestitués, mais tôt au tard les élites autoproclamées sont rattrapées par la réalité quand reviennent les cadavres, les éclopés et les gueules cassées…

L’autre grande idée, qui a ses qualités et ses défauts, est de centrer l’essentiel du roman sur le personnage de James Mac Kendrick, catholique progressiste qui a grandi parmi les protestants fanatiques, coincé entre indépendantistes irlandais et loyalistes anglais, les fameux Orangistes qui ont autant sinon plus de crimes sur la conscience que l’IRA mais qui eu n’ont guère eu de souci à se faire avec la police, la justice et les médias grâce à la collusion des autorités instituées. L’idée est qu’il n’est nul besoin de haïr l’ennemi, souvent pour des raisons stupides, puisqu’on se hait déjà entre alliés, pour des raisons souvent encore plus stupides. Pourquoi tant de haine entre Français et Allemands partenaires économiques et culturels de longue date ? Parce que les élites autoproclamées ont décidé de diviser pour régner ou de se faire mousser au détriment d’un autre peuple puis au détriment de leur propre peuple (à moins que ce ne soit l’inverse)… Pourquoi tant de haine entre les indigènes irlandais et catholiques et les colons anglais et protestants ? Parce qu’Oliver Cromwell a décidé de diviser pour régner et de se faire mousser en génocidant le peuple irlandais après avoir massacré le peuple anglais (à moins que ce ne soit l’inverse)… On insiste donc bien sur toutes les vicissitudes d’une guerre de position qui s’enlise, dans laquelle chaque mètre gagné sur l’ennemi l’est au prix du sacrifice de milliers de soldats sans aucun remord puisque les êtres humains ne sont plus que des chiffres sur des registres avant d’être des noms sur des tombes : nous retrouvons donc bombardements, montées à l’assaut, tranchées, barbelés, maladie, fatigue et surtout la peur sous toutes ses formes… Placé dans l’horrible et insoutenable contexte que nos ancêtres ont connu et vécu, Emile, James et Ludwig sont plongés dans la sale guerre et se mettent de plus en plus à douter jusqu’au moment au le destin les placent tous les trois au même endroit et dans la peau de déserteurs : c’est tout naturellement qu’au lieu de s’entre-tuer comme les élites autoproclamées le leur ont ordonné, ils fraternisent avant de travailler ensemble pour échapper à cet enfer qu’est devenu le Nord et l’Est de la France… Sauf qu’ils sont traqués car il ne faut surtout pas qu’ils donnent le mauvais exemple à leurs camarades soumis au bourrage de crâne sous la surveillance des commissaires politiques (le communisme n’a rien inventé, il n’a fait que reprendre ce que l’Occident avait déjà développé) !

– Je n’ai plus d’ennemis dans cette guerre, elle est finie pour moi. Ou alors, si j’ai encore des ennemis, ils ne sont pas allemands, ni français, ni anglais. Ils sont juste colonels ou généraux.

Un bon sinon très bon roman difficile à prendre en défaut, mais qui aurait eu pu être carrément excellent… D’un point de vue interne j’ai eu du mal à rentrer dedans : la structure en POVs est totalement déséquilibrée et il faut attendre la réunion des principaux protagonistes pour que l’ensemble gagne définitivement en fluidité. Après la mise en place, le chapitrage et le rythme jouent aussi : je ne suis pas un adepte des page-turner des ateliers d’écriture américain, mais il y aurait eu sans doute moyen de dynamiser un peu tout cela… Autre reproche, c’est que l’inévitable et nécessaire phase Les Sentiers de la gloire (vous savez cette œuvre de 1957 interdite en France jusqu’en 1975 parce que des pléthores de crevards s’étaient reconnues dans le haïssable crevard galonné incarné par le général Paul Mireau combattu par Spartacus, euh pardon le colonel Dax interprété par Kirk Douglas), arrive trop tardivement et est traité trop rapidement…
D’un point de vue externe, et ben j’ai déjà lu tout ça dans Les Fantômes de Gaunt où Dan Abnett transpose tout cela sur le fond comme sur la forme en Dark SF avec un Ibram Gaunt en mode colonel Dax / Kirk Douglas qui part en croisade contre les forces obscures de la crevardise en n’hésitant pas à casser la gueule voir à trucider des supérieurs hiérarchiques qui méritent d’être tués ou lieu d’être « limogés » (les mêmes cause ont d’ailleurs les mêmes effets : la trahison du fanatique orangiste ne m’a pas surpris après celle du serial killer Lijah Cuu).
Dernier reproche, qui n’en est pas un finalement, c’est qu’on ne va pas au bout du pamphlet : derrière cette boucherie qu’on peut qualifier à posteriori de suicide collectif à grande échelle, il y a eut des gens bien planqués qui ont soumis des populations entières à des souffrances inimaginables et qui en plus leur ont fait porter le chapeau de leur incurie pour ne pas dire de leur inhumanité. Cela aurait dû être la Der des Ders, mais que faire de ces millions de morts, de ces millions de blessés mutilés, défigurés et handicapés sans parler de tous les autres traumatisés à vie car brutalisés et brutalisateurs, à la fois bourreaux et victimes ? Les Yankees toujours dirigés par le Veau d’Or ont immédiatement exigé l’argent des armes qu’ils avaient vendus à des prix exorbitants, obligeants Anglais et Français à extorquer pays vaincus et pays coloniaux, radicalisant les oppositions jusqu’à donner naissance à de nouvelles Bêtes Immondes.

Et si la ploutocratie mondialisée avaient foutu la paix à l’URSS au lieu de lui envoyer les pires bouchers de l’époque pour lui régler son compte, peut-être que ce n’est pas un boucher qui aurait pris le pouvoir pour faire naître une autre Bête Immonde qui a fait trembler le monde… Mais les choses ont-elles vraiment changer depuis lors ? Les parts de marchés ont remplacés les parts de territoires, les multinationales ont remplacés les États, et les ubermanagers sociopathes envoient les ressources humaines au casse-pipe sans se soucier des pertes qui ne sont plus les blessées et les morts mais les précaires et les pauvres, deux catégories de population en constante augmentation dans des pays qui se disent riches…

Tout cela va très mal finir, surtout avec cette saloperie de macronie qui fait du reagano-thatchérisme à retardement, mais d’ici là je recommande chaudement la lecture du livre de Patrice Quélard qui reste méconnu et qui ne mérite pas le rester !

note : 7,5/10 (des POVs équilibrés et je mettais 9/10 dans hésiter !)

Alfaric

Parce que notre avis n’est pas le seul qui vaille, quelle note mettriez-vous à cet ouvrage ?

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