Kenzaburo Akechi (scénario)
Yutaka Todo (dessin)

L’Homme qui a tué Nobunaga, tome 3

Manga, histoire / XVIe siècle
Publié en VF le 05 mai 2021 chez Delcourt / Tonkam
Publié en VO en 2016 par Akita Shoten dans Young Champion (« Nobunaga wo Koroshita Otoko – Honnouji no Hen, 431-nenme no Shinjitsu / 信長を殺した男 ~本能寺の変 431年目の真実 »)

Grâce à son génie militaire et sa puissance de feu, Oda Nobunaga est désormais maître d’une bonne partie du centre du pays. Sa force de frappe lui a offert une brillante victoire sur le puissant Takeda Shingen, tout en lui permettant d’écraser temporairement les rebelles religieux qui menacent l’unicité et la paix durement acquises. Tandis que les premiers soupçons d’Akechi Mitsuhide fleurissent à l’égard de la nature cruelle de Nobunaga. Toyotomi Hideyoshi, un rival de taille, entre en scène. Diplomate de talent, ce dernier se révèle peu à peut être un impitoyable guerre, ambitieux et roué. Et le mins que l’on puisse dire, c’est que ses confessions vont venir balayer toutes nos certitudes….

​C’est passionnant, mais il faut suffisamment connaître la période du Sengoku Jidai pour s’y retrouver et apprécier cette excellente série à sa juste valeur. Chacun a son point de vue, et il y a sa version, la version d’autrui et la Vérité. Mais bien malin celui qui peut y accéder ! En fonction de sa vision chaque historien ou chaque auteur transforme untel ou untel en héros ou en salaud, en tyran ou en libérateur, en conservateur ou en réformateur… Et ici en voulant démystifier l’Histoire, n’est-on pas en train de nous mystifier une fois de plus ? Car mine de rien, est en train de nous refaire l’Affaire Seznec à la puissance 1000 !!!

 

Chapitre 13 : Le Glouton Cornu
Dans la province d’Echigo Matsunaga Hisahide rallie le camp de Uesugi Kenshin, et Shibata Katsuie vassal d’Oda Nobunaga est missionné pour le châtier. Hashiba Hideyoshi se brouille avec ce dernier, et il est bien content de faire bande à part pour le laisser se faire botter les fesses par le légendaire chef de guerre surnommé « Le Juste » et « L’Héroïque ». Hashiba Hideyoshi issu de la paysannerie et Mitsuhide Akechi issu de l’aristocratie ne se supportent pas, car le parvenu et le déchu ont une vision de leur suzerain et du monde qu’ils veulent bâtir radicalement différente…

Chapitre 14 : Les Herbes folles
Un chapitre initialement très gay friendly, mais je vous laisse le plaisir de la découverte. La mort fort opportune du seigneur du Clan Uesugi après celle du seigneur du Clan Takeda ouvre un boulevard à Oda Nobunaga. Ce dernier récompense son fidèle Mitsuhide Akechi en lui offrant une nouvelle épouse issue de la plus haute aristocratie, lui qui n’avait jamais dépassé le stade de la petite aristocratie. Le beau-père est un ancien suzerain du marié, qui ne supporte pas qu’un ancien vassal soit désormais plus haut placé que lui. Et évidemment en génie du mal, ce bon vieux Hashiba Hideyoshi souffle sur les braises de la peur et de l’ignorance… Mitsuhide Akechi est une réformateur qui pensent que les élites doivent cohabiter en bonne intelligence avec le peuple, mais Hashiba Hideyoshi est un révolutionnaire qui lui pense qu’il faut faire table rase du passé quel que soit le prix à payer…

Chapitre 15 : Liens de sang
Un chapitre quasiment philosophique tellement sont hautes les idées qu’il porte. D’un côté on a l’Est Oda Nobunaga qui a marié l’une de ses filles au fils aîné de Tokugawa Ieyasu, ce qui le met en porte-à-faux lorsqu’on lui rapporte des rumeurs d’intrigues, de complots et de trahisons. D’un autre côté on à l’Ouest Mitsuhide Akechi qui a marié sa fille aîné à l’héritier d’Araki Murashige, ce qui le met en porte-à-faux lorsqu’on lui rapporte des rumeurs d’intrigues, de complots et de trahisons.
Pendant ce temps Hashiba Hideyoshi suit son agenda en empalant tous les habitants de Kôzuli, et en affamant tous les habitants de Miki (« les Affamés de Miki », c’est même passé dans l’imaginaire collectif tellement c’était horrible de se goinfrer devant des gens devant recourir au cannibalisme pour survivre). Par ses crimes de guerre et contre l’humanité, il trie le bon grain de l’ivraie pour son seigneur : il a ceux qui sont prêts à tout et au reste qu’il faut récompenser avec de l’argent, et les réticents et les récalcitrants qu’il faut remettre dans le rang par la terreur ! Idéalisme ou pragmatisme, de nos jours l’hypercapitalisme ultralibéral a tranché en faveur de la crevardise à outrance. Donc là où les élites autoproclamées ont décidé que l’argent et l’ambition devaient régner il ne faut pas s’étonner des conséquences désastreuses que cela entraîne…

La trahison doit être éradiquée avant qu’elle ne germe…

Chapitre 16 : Bataille navale
Les rumeurs enflent sur la trahison du seigneur de la province de Settsu, et qui enflent d’autant plus qu’il éconduit toutes les tentatives de médiation menés Mitsuhide Akechi liés aux deux familles. Araki Murashige attend le soutien des flottes du Clan Mori et du chef pirate Murakami Takeyoshi, et au jour où elles arrivent il est persuadé que ses calculs ont été payants. Mais de la même manière qu’Oda Nobunaga a massacré la cavalerie Takeda avec des fusils, il massacre les flottes ennemies avec ses bateaux équipés de canons italo-espagnols…

Chapitre 17 : Aliénation
Les choses se décantent pour tout le monde. A l’Est dans des circonstances très troubles l’épouse de Tokugawa Ieyasu est massacrée par un groupe de ses vassaux, alors que son fils aîné se fait seppuku pour des raisons inconnues. A l’Ouest le grand moralisateur Araki Murashige file à l’anglaise, et sa famille, ses serviteurs et ses vassaux se font massacrer de la pire des manières. Mitsuhide Akechi qui a assisté à la décapitation de son petit-fils de moins de 15 ans demande à ce qu’ils soient tous enterré avec les honneurs, mais son rival Hashiba Hideyoshi demande lui à ce que toutes leurs têtes soient exposées sur des piques. Oda Nobunaga prisonnier du pouvoir donne raison à celui qui va le supplanter : Sic Semper Tyrannis ? Le Japon est une civilisation qui n’a jamais brillé par sa compassion, bien au contraire elle s’est longtemps illustrée par sa cruauté…

Chapitre 18 & 19 : La Confession du Soleil
Nous sommes dans le droit de quota de flashbacks, et en se confessant à un prêtre bouddhiste Hashiba Hideyoshi mourant raconte sa vie et celle d’Oda Nobunaga avant que ne commence l’unification du Japon. Grosso modo on nous raconte la Bataille d’Okehazama, le premier grand succès du Roi des Démon. Au final le confesseur demande des éclaircissements au pénitent sur « L’Incident du Honnôji », et ce dernier jubile de continuer à tromper tout son monde : c’est lui qui a monté son rival et son suzerain l’un contre l’autre pour se débarrasser de l’un et de l’autre pour devenir calife à la place du calife…

 

La fin justifie-t-elle tous les moyens ? Tout ce qu’on réalise violemment par la force on peut le réaliser tranquillement par la persuasion, mais ce n’est pas dans le logiciel des élites autoproclamées qui ne vivent que par et pour la compétition sans pitié et sans merci avec beaucoup d’appelés et peu d’élus, les games of thrones à outrance décimant et élaguant leurs rangs au fil du temps…
Le Sengoku Jidai japonais se veut un équivalent des Royaumes Combattants chinois. Mais la Chine fut unifiée par un tyran qui a tué des millions de gens, avant de bâtir par la terreur militaire, policière et judiciaire une véritable dystopie qui s’effondra à sa mort (en recourant d’ailleurs massivement à la « Cancel Culture » si chère aux bobos hipsters, en brûlant livres et auteurs dans des autodafés géants). Qu’attendre donc d’Oda Nobunaga qui prétend mettre fin à la guerre par la guerre.

Comme Jules César et tant d’autres il est pris au piège, du pouvoir qui corrompt et qui corrompt absolument quand il est absolu, mais aussi de lui-même car en prenant le pouvoir par la force il crée un précédent et ouvre la voie à tous les Rastignac qui veulent prendre sa place. Et les Rastignac, ce n’est jamais ce qui manque hein… Tu ne peux pas fonder une nation et encore moins une civilisation uniquement sur le pragmatisme, à savoir l’argent et l’ambition (ça c’est le capitalisme d’Adam Smith : « Greed is Good ») ! Pour fédérer une communauté humaine il faut un projet commun donc de l’idéalisme, n’est déplaisent aux gros crevards qui nous gouvernent…

Et franchement, en tant qu’être humain appartenant à l’humanité je ne comprend absolument pas tous ces gros crevards qui prétendent défendre des valeurs mais qui à la première occasion sont prêts à sacrifier leurs familles, leurs vassaux et leurs sujets pour continuer à jouer à games of thrones (à savoir grimper quelques marches de plus sur l’escalier du pouvoir dont ils sont pourtant déjà au sommet)…

note : 8,5/10

Alfaric

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