Mathieu Gabella (scénario)
Frédérique Neau-Dufour (historienne)
Christophe Regnault & Michaël Malatini (dessin)

Ils ont fait l’Histoire,

De Gaulle 1ère partie

Bande dessinée, histoire / 20ème siècle
Publiée le 05 février 2020 chez Glénat

Baigné de ferveur politique, d’histoire, de philosophie et d’écrits militaires, le jeune Charles de Gaulle embrasse assez naturellement une carrière dans l’armée. Officier pendant la Première Guerre mondiale, il fera preuve d’un courage exemplaire, sera laissé pour mort et capturé par les Allemands. Mais c’est dans l’entre deux guerre qu’il se construira plus encore, voyant avant les autres les périls qui pointent, et les solutions nécessaires. Il admirera, travaillera, puis s’opposera à celui qui deviendra finalement son plus farouche adversaire : Philippe Pétain.

Pas facile de s’attaquer à un monstre sacré de l’Histoire de France, et Mathieu Gabella n’a même pas peur : la première planche nous montre l’armée qui annonce à Henri de Gaulle la mort de son fils aîné Charles lors de la Bataille de Verdun… Lecteurs et lectrices se disent WTF ? Effectivement le grand homme fut présumé mort alors qu’il était prisonnier des Allemands. Mais pourquoi commencer par cela ? Parce effectivement peut-être qu’un de Gaulle est mort à Verdun pour que puisse en naître un autre, plus grand et plus noble…
Les auteurs partent du point de vue qu’on ne peut pas comprendre de Gaulle le président sans comprendre de Gaulle le résistant, et qu’on ne pas comprendre de Gaulle le résistant sans comprendre celui qui a été auparavant, d’où un récit en 3 albums qui doivent permettre de bien développer le cheminent su personnage.

Charles appartient à « la Vieille France », terme qui selon la situation peut être aussi mélioratif que péjoratif. Son père est conformément à ses croyances professeur et directeur d’école dans le privé, et sa mère est une bonne fortune catholique. Comme peut le montrer la biographie d’Hergé ce genre de milieu riche, catholique et nationaliste peut cultiver les préjugés les plus nauséabonds, mais Charles a eu la chance de naître dans une famille qui elle cultive l’esprit critique : son père a participé à la guerre franco-prussienne et il a vu les courtisans du Second Empire quitter la France comme des rats, et les prétendus républicains crypto-monarchistes rouler des mécaniques contre la Commune pour ensuite baisser leur froc devant le IIe Reich. « Monarchiste de regret et républicain de raison », au contraire de toute sa classe et de toute sa caste sociale il est anti-dreyfusard parce que la vérité doit l’emporter sur les préjugés. Charles lui veut « protéger et servir », pas comme tous les bourgeois de chez Balzac, Hugo et Zola qui ne pensent qu’à se protéger et se servir, et pour intégrer Saint-Cyr on l’envoie chez les Jésuite en Belgique (comment ceux qui ont été à la pointe de l’éducation et de la pédagogie durant l’époque moderne ont-ils pu être aussi rétrograde et passéiste durant l’époque contemporaine : grandeur et déchéance d’une communauté religieuse qui avait brillé par son intellectualité).
Il admire Charles Péguy et Henri Bergson, et on retrouve toute la mythologie militaire dénoncé par tant d’autres auteur à la même époque (genre Jules Vallès). Il est contestataire, il est anticonformiste, et un dénommé Pétain va le prendre sous son aile et l’espace de quelques pages l’un est le crevard et l’autre le héros du livre / film Les Sentiers de la Gloire… Car la réalité finit par rattraper de Gaulle : la guerre n’est pas qu’honneur et gloire pour une élite, elle est aussi mort et souffrance pour des millions de gens qui crèvent dans le sang, les larmes et la merde. Pour Charles de Gaulle plus qu’une révélation, c’est une transfiguration . En prison il vit aux côté de la plèbe le malheur où tout les hommes sont frères et entre 5 évasions ratées (private jokes de la part des auteurs à La Grande Illusion ou à La Grande Évasion ?), il rédige un manifeste politique qui sera celui de la Ve République : à la même époque Benito Mussolini, Adolf Hitler, Lénine, Staline et Mao rédigent également les leurs… Accusé d’autoritarisme et de fascisme, c’est le seul qui reste dans la voie démocratique et tous les actes de sa vie vont le démontrer, avant d’être à son tour rattrapé ce naufrage qu’est la vieillesse qu’il avait dénoncé chez son vieux mentor Philippe Pétain…

CDG voit tout de suite que l’âge des nationalismes et des impérialismes a accouché de l’âge des masses et des guerres totales, et que le Traité de Versailles qui est tout sauf un traité de paix n’est qu’un compte à rebours vers une nouvelle apocalypse. Il reprend sa collaboration avec Philippe Pétain, mais pour des raisons que la raison ignore la brouille survient rapidement entre le vainqueur de Verdun et la victime parmi tant d’autres du massacre de Verdun. Qu’importe il défendra ses idées dans la politique contre l’armée, et dans l’armée contre la politique ! A sa plus grande surprise pour celui qui défend des idées de « droite », tous ses soutiens viennent de « gauche » : Léon Blum, Paul Raynaud, Jean Monnet, Émile Mayer… Pendant ce temps Daladier, Pétain Weygand et cie leur crachent dessus : ils servent la soupe à Hitler, ne font rien quand il attaque la Pologne, attendent que les choses se passent et au final sont bien contents de capituler rapidement pour faire du business avec le IIIe Reich plutôt que de continuer à résister pour défendre la liberté, l’égalité et la fraternité qu’ils exècrent au plus haut point (ah quand on fait la sociologie de la Collaboration on retrouve la majorité des notables de France et de Navarre qui aiment tant vilipender la populace engagée dans la Résistance). Alors que les élites françaises baissent leur froc devant le IIIe Reich, CDG multiplie les aller-retour entre la France et l’Angleterre pour sauver ce qui peut encore l’être… L’appel du 21 mai a été un bide, qu’importe il lancera l’appel du 18 juin pour un nouvel à la résistance : l’Histoire est en marche et rien ne l’arrêtera !!!

Il est essentiel que tous ceux qui commandent, du haut en bas, aient une personnalité très marquée, de l’initiative et du caractère. Or ils n’en n’ont pas.

Le parallèle entre Churchill et de Gaulle est édifiant :
– Churchill pur produit de l’aristocratie était un anticonformiste à la recherche de la gloire avant de côtoyer la plèbe dans un camp de prisonnier lord de la Guerre de Boers dont il finit par s’échapper, ses opinions changèrent pour transformer son anticonformisme sans pour autant oublier les relations entre la politique et la guerre…
– De Gaulle pur produit de la méritocratie un anticonformiste à la recherche de la gloire avant de côtoyer la plèbe dans des camps de prisonniers lors dont il ne réussit jamais à s’échapper, ses opinions changèrent pour transformer son anticonformisme sans pour autant oublier les relations entre la politique et la guerre…
Dès leur première rencontre les deux hommes s’entendent comme larrons en foire, et sans ses efforts répétés CDG n’auraient jamais survécu aux multiples tentatives d’assassinats de la part du gouvernement américain qui voulait faire de Pétain le Franco français. Ce qui les différencie c’est le sens de la famille : Churchill élevé par sa nurse est toujours resté distant de ses parents, CDG aimé par son père et par sa mère a toujours été plus sentimental que le champion anglais de la punchline. Et ce d’autant qu’il a été frappé dans sa chair en acceptant de garder Anne son enfant trisomique à une époque où les élites autoproclamées préféraient s’en débarrasser pour les remplacer par des enfants achetés à des kidnappeurs professionnels…

Et le parallèle en la réalité et la fiction est encore plus édifiant :
Je suis un grand lecteur de manga, et concernant tous les passages et toutes les thématiques militaires je dois plisser les yeux entre Charles de Gaulle pure produit de la méritocratie du XXe siècle français et Bernd Balzar pur produit de la méritocratie du XIXe siècle allemand. Les mêmes causes produisent-elles les même effets ? Un bon chef ne donne jamais d’ordres qu’ils ne soit prêt à effectuer lui-même, un bon chef ne donne jamais d’ordres qui sacrifient ses hommes pour les petits profits des petits intérêts d’un petite minorité, donc un bon commandant défend la liberté, l’égalité, la fraternité où la mort !!! Donc macron est un chef de merde, CQFD !

 

J’ai envie de dire waouh ! Cela faisait longtemps que je n’avais pas autant appris autant de truc en Histoire : la BD de 48 pages semble interminable tellement elle est rempli de personnages, d’événements, de thématiques, mais on ne s’ennuie pas un seul instant ! Produit de l’Histoire et acteur de l’Histoire qu’il finit par faire presque à lui tout seul en tant que nexus du peuple français, CDG homme d’action et de conviction est notre guide au cœur d’un récit qui finalement s’avère tout simplement humaniste… Je ne sais aucunement si c’est voulu ou pas, si les auteurs se sont concertés ou pas, mais un chose est sûre la philosophie de la collection Ils ont fait l’Histoire est plus que jamais que les Grands Hommes étaient des hommes comme les autres animés par des passions humaines grandes ou petites, avouables ou inavouables, et qu’au final ils étaient des êtres humains comme vous et moi…
Christophe Regnault ne signe que le storyboard et a laissé les dessins à Michaël Malatini : c’est simple sans être simpliste, on reconnaît bien les personnage parfois un petit peu caricaturés pour offrir un touche d’humour dans un album très sérieux, c’est fluide et c’est dynamique, mais surtout les graphismes sont clairs et nets ! Bref sans être extraordinaires c’est très agréable à lire… Pour ne rien gâcher les appendices de Frédérique Neau-Dufour sont de qualités, et même le making off est très inspiré : commencer par la mort finir par l’océan, oui mais ce n’est pas la fin mais le commencement !

PS: comme tout est centré sur notre CDG national on ne peut pas voir le tableau d’ensemble… la brouille entre Charles de Gaulle et Philippe Pétain est inexplicable ; inexplicable est l’évolution des positions de Philippe Pétain lui-même peut-être atteint de boulardise après avoir connu la « gloire » de n’avoir pas perdu le « suicide collectif » de la Bataille de Verdun (dès 1917 ce mec était devenu un connard de compétition) ; inexplicable est la politique des élites françaises de la fin des années 1930 qui crachent sur le juif Léon Blum et le Front Populaire qui a fait en 1 mois ce qu’elles n’avaient pas su faire en 50 ans ; inexplicable est le sabotage délibérée du gouvernement et de l’Etat-major (la Ligne Maginot inachevée, le refus de mettre à niveau l’armée qui fut la plus moderne du monde 20 ans auparavant, y compris par ceux qui défendait une telle politique, un chef interallié viscéralement anglophobe et cerise sur le gâteau Weygand qui déclare « j’ai perdu comme l’Allemagne mais au moins j’ai vaincu la République »… Avec de tels amis la France n’a avait aucunement besoin d’ennemis, mais ce sont les mêmes qui avaient acquitté l’assassin de Jean Jaurès l’empêcheur de faire du business sur le dos des peuples… Après coup je ne m’étonne pas plusieurs macronistes bien en vu viennent de hautes écoles qui ont été frappées par des affaires de réhabilitation et d’apologie de collaborationniste qui ont plus brillé par leurs trahisons que par leurs actions…

note : 8,5/10

Alfaric

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