Gilles Rouverand

Kuai, ou l’affaire du Shanghai Taxi 001

Roman, polar / thriller
Publié le 01 avril 2016 chez Marabout

Il y a trente ans, Monsieur Song recevait l’insigne du « Taxi 001 » des mains du Premier ministre chinois, Deng Xiaoping. Au volant du premier taxi de Shanghai, il est sorti de la misère, et a assisté aux premières loges au développement fulgurant de son pays. Après trente années de service irréprochable, le paisible Monsieur Song est à la veille de goûter une retraite méritée, lorsque son véhicule est violemment percuté par une voiture officielle. Injustement condamné à une lourde amende et menacé de représailles s’il venait à rendre l’affaire publique, Monsieur Song décide de se battre pour prouver son innocence, sans se douter de la menace qu’il fait désormais peser sur un haut personnage d’État. L’Officier Shen, ambitieux et sans scrupule, prend l’affaire en main. S’engage alors une course poursuite qui nous transporte sur les routes de Chine, entre ville et campagne, dans les entrailles d’un pays écartelé entre traditions et modernité, passant de golfs pour milliardaires à des villages ancestraux, avec toujours l’ombre oppressante du Parti Communiste qui rôde, de ses luttes de pouvoir et de sa surveillance informatique totalitaire.

Merci Babelio, merci Masse Critique, merci Marabout / Hachette Livre !

En 1985, M. Song est fier d’avoir été intronisé premier taxi de Shanghai par Deng Xiaoping, mais en 2015 c’est à quelques jours de la retraite qu’il est accroché par le voiture d’un cacique du régime qui compte bien user et abuser de ses privilèges en faisant porter à un gueux toutes les responsabilités de l’accident et les frais qui vont avec. Accablé par tant d’injustice, il fait appel au Bureau des Plaintes de Pékin, miroir aux alouettes au service des puissants qui ne fait que dresser la liste des clous qui dépassent et qui appellent le marteau… Trop c’est trop, M. Song déclare la guerre au Parti Communiste et prie qu’avec les maigres moyens à sa disposition il puisse aller le plus loin possible !

La 1ère partie est proche du polar social avec de nombreuses descriptions de la vie de tous les jours au sein de la métropole de Shanghai dont les habitants regardent vers l’avenir mais qui ne peuvent oublier leur passé, mais la 2e partie alterne road movie, ce qui m’a fait penser au film Bagdad Café avec ce groupe hétéroclite faisant route vers les plages d’Hainan (un vieux prolétaire exemplaire, une jeune contestatrice, un étudiant étranger, un jeune ouvrier culturiste et une mémé handicapée), et techno-thriller, ce qui m’a fait penser au film Ennemi d’Etat avec ces chiens de chasse informaticiens au service d’un énième hominus crevaricus persuadé que le monde n’existe que pour être le jouet de ses caprices d’enfant pourri gâté…
Mais au final, on n’est pas loin des thrillers de John Grisham avec ses citoyens lambda en lutte contre la dictature du système moitié technocratique moitié mafieux !

Ce livre possède trop d’éléments intéressants pour être qualifié de roman de gare :
* Au sein de la métropole mondiale qu’est désormais Shanghai, on oppose les puissants qui pètent dans la soie et les petites gens sur qui reposent l’opulence mais qui sont qualifiés de « moins que de rien ». On est donc dans le traditionnel suprématisme à la con des classes dirigeants qui entre hérédité et cooptation se renouvellent par intégration des homines crevarices, ces parasites mutants prêts à tout et au reste pour se sentir au-dessus du commun des mortels et que l’humanité ferait bien d’éliminer au plus vite si elle tient à sa survie…
* Au sein de ce voyage des rues de Shanghai aux plages de Hainan, on oppose les citadins modernes, bénéficiaires de la croissance, connectés et individualistes aux campagnards traditionnels, exclus de la croissance, déconnectés et solidaires, et les passages des Hans par quelques unes des 55 minorités ethniques de l’Empire du Milieu ne fait que renforcer cette opposition…
Pour ne rien gâcher, les quelques remarques sur le Grand Bond en avant, les nombreuses remarques sur la Révolution Culturelle, ainsi que d’autres trucs comme les aspects peu reluisant de la politique de l’enfant unique apportent aussi un plus en abordant l’Histoire contemporaine de la Chine.

Le changement d’époque fut brutal. Nous étions un peuple uni autour d’un idéal révolutionnaire et nous devenions des individus en quête de bien-être personnel. Était venu le temps du chacun pour soi et du tant pis pour les autres. Seuls les plus forts s’en sortiraient, le temps du bol du riz en fer, garantissant la sécurité d’un emploi public à vie, était révolu. Il faudrait se battre au crever.

Après je n’ai pas réussi à m’emballer tout à fait :
– les personnages ne sont pas approfondis et les descriptions n’enrichissent pas assez l’ambiance
– l’alternance entre récit à la 1ère personne et récit à la 3e personne ne m’a pas enthousiasmé
– les rebondissements sont trop peu nombreux un peu faciles
ATTENTION SPOILERS La chute en deux temps est précipitée et prévisible, mais ce n’est pas le pire : l’alliance du petit peuple entre anciens compagnons de la Révolution, anciennes victimes du régime, vieux et jeunes, hommes et femmes, ouvriers et paysans, geeks et réfractaires aux nouvelles technologies, contestataires et traditionalistes, n’a finalement fait que brasser du vent, et tout n’était que games of thrones des puissants avec des crevards corrompus remplaçant d’autres crevards corrompus… Il y a clairement un côté éternel retour avec Mr Song intronisé par Deng Xioping et sauvé par la vidéo virale dénommée Deng Xioping… FIN SPOILERS

Du coup je vois de moins en moins de différences entre la dictature oligarchique chinoise et les démocraties oligarchiques occidentales : contrôle des médias avec censure et propagande, donc contrôle des masses à laquelle on offre une petite carotte et un gros bâton, et du pain et des jeux pour faire oublier l’iniquité du système… La mondialisation, c’est aussi le martelage à grande échelle de la pensée unique et nous sommes tous en route vers l’enfer technocratique ou les ressources humaines seront à la merci des managkillers inhumains qui n’ont rien à envier aux officiers bouchers des guerres totales… Il y a une génération, on disait qu’avec la mondialisation les Chinois allaient progresser vers le niveau de vie des Occidentaux, mais il est désormais plus plausible que dans une génération les Occidentaux régressent vers le niveau de vie des Chinois… MDM

Gilles Rouverand offre à ses lecteurs une sympathique incursion en Chine : je note son nom et je serai heureux que mon parcours de lecteur repasse à l’avenir par l’une de ses œuvres…

note : 6,5/10

Alfaric

Parce que notre avis n’est pas le seul qui vaille, quelle note mettriez-vous à cet ouvrage ?

 
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