Shinobu Ohtaka
(scénario & dessin)

Orient : Samourai Quest, tome 1

Manga, uchronie / fantasy
Publié en VF le 24 juin 2020 chez Pika
Publié en VO à partir de 2018 par Kodansha dans le Shuukan Shounen Magazine (« オリエント»)

XVe siècle, Japon. Le monde est aux mains des oni, d’effroyables démons pourtant vénérés comme des dieux par le peuple, qui ignore tout de leur nature maléfique ! La vérité, seuls les bushi, de valeureux guerriers, la connaissent. Mais ces combattants sont traités en parias et condamnés à vivre dans la honte, de peur qu’ils ne renversent l’ordre établi. Cela n’empêche pas Musashi de rêver avec Kojirô, son ami d’enfance et descendant de bushi, de parvenir un jour à libérer le Japon en mettant un terme au joug des oni ! Ensemble, ils se sont jurés de fonder le plus puissant des clans de bushi. C’est ici que commence leur quête.

J’ai beau ne pas avoir encore fini sa série humoristique (Sumomomo Momomo) et ne pas avoir encore fini sa série épique (Magi), j’avais quand même hâte de découvrir la nouvelle série de Shinobu Ohtaka intitulée Orient : Samourai Quest. A l’arrivée je suis déçu certes, même si c’est cool de retrouver l’auteur avec un niveau graphique plus abouti qu’auparavant : je suis bien conscient que j’en attendais beaucoup trop… Car on est un peu entre ses deux précédentes séries, et avec un pur shonen des familles on n’est plus du tout dans l’univers riche et complexe de Magi et ses dizaines de personnages ambivalents tantôt épiques tantôt tragiques…

La série part un peu sur le même principe que le Ayakashi d’Izu et VanRah : on est dans un Japon uchronique post Sengoku-jidai dans lequel des créatures fantastiques ont pris le pouvoir. Mais là où les frenchies avait mis un système de chasseurs d’horreurs à la The Witcher, ici c’est un autre délire qui n’est pas sans rappeler la shonen mainstream à rallonge Gintama. Les Onis ont remplacés les Kamis, et la population ne travaille plus pour les guerriers mais pour les prêtres au service des nouveaux dieux. Les guerriers autrefois parangons de la société en sont devenus les parias, parfois soumis parfois rebelles. Et c’est là que réside une ambiguïté gênante. Dans Magi on filait constamment le thème de la lutte des classes en pointant du doigt l’hypercapitalisme et le néo/ultra libéralisme, alors qu’ici on tombe facilement dans des thèmes plutôt nationalistes. J’imagine que les responsables éditoriaux ont du la pousser au cul pour faire quelque chose de plus « censuré », euh pardon plus « consensuel » et plus « politiquement correct ». L’auteure dévoile rapidement le pot aux roses : la population est formatée et lobotomisée pour devenir de bons travailleurs, car les Onis qui se nourrissent de métal ont besoin d’esclaves mineurs pour se goinfrer à satiété sans rien foutre (donc quelque part, on est toujours dans la dénonciation du reagano-thatchéro-macronisme). Alors on passe directement de streums qui ne ressemblent à rien à des boss de fin plus vidéoludiques tu meurs (marre des machins qui régénèrent à l’infini, car ça tue tout de suite tout l’aspect combat d’une série). Mais ce qui est gênant c’est que tout cela a existé IRL dans le Japon impérial totalitaire mis en place par les anciens samouraïs avec la mentalité des anciens samouraïs (ce n’est pas innocent si le mot qui figure dans le titre n’apparaît pas dans le récit car il faut justement restaurer « l’esprit samouraï »), et qu’ici on dépeint les samouraïs comme des résistants se battant pour un « Japon libre »… Je croise les doigts pour que comme Larry Correia dans Le Guerrier oublié tout cela ne soit qu’un prélude pour dénoncer les cycles de l’exploitation de l’homme par l’homme, les exploitants d’hier étant les exploités d’aujourd’hui avant que la haine et le ressentiment n’inversent les rôles indéfiniment…

Il faut mille coups pour faire une brèche ! Il suffit d’une brèche pour briser une digue de trois mille mètres !

Le tome 1 démarre immédiatement avec un classique : les amis rivaux. Musashi (Miyamoto ?) est un rouquin qui va devenir optimiste et idéaliste, alors que Kojiro (Sasaki ?) est un blondin qui va devenir pessimiste et pragmatique. Musashi continue de croire aux principes du bushido même s’il n’en donne pas du tout l’impression, alors que Kojiro ne croit plus aux principes du bushido même s’il n’en donne pas du tout l’impression (le solo du premier manga de l’auteure, devenu un duo dans son deuxième manga, en reprend ici la formule).

Le rythme est hyper-rapide, et on décrit un univers pour aussitôt le démystifier. Les dieux bienveillants sont des démons malveillants, et le tout le système est destiné à motiver les individus à être de bons travailleurs est un lavage de cerveau collectif destiné à fabriquer de bons esclaves (tout référence à notre monde de merde passé, présent ou à venir n’est absolument pas fortuite du tout). Les méchants sont grotesques, les figurants sont cartoonesques, Musashi développe jusqu’à la caricature les valeurs parfois inhumaines du bushido (genre je veux prouver que je suis le plus fort du monde, même si ça va m’amener à crever comme une merde dans quelques secondes), et on tire à fond sur la carte de l’espoir et de l’amitié, des rêves à atteindre et des efforts et de la volonté qu’il faut déployer pour les accomplir…

C’est là que débarque le Clan Takeda dirigé par un seigneur de guerre beau-gosse avec son château ambulant, et ses guerriers en armure tokusatsu (Kamen Rider, Metal Heroes Super Sentaï et cie) et montés sur des motos ronflantes et rutilantes, mis en avant à travers une brochette de personnages qui n’aurait pas dépareillé dans un shonen mainstream à rallonge des années 2000 (genre One Piece, Naruto, Bleach ou Fairy Tail et cie). Mais Musashi et se tire la bourre avec le chef Naotora Takeda pour transformer en trophée le « Tengu des Flammes Infernales »…

C’est un shonen très sympathique, mais c’est un gros shonen quand même bien calibré pour le public ciblé. J’espère que l’auteur en a gardé sous le coude pour la suite (Samourai Quest, Dragon Quest, mêmes combats ?), parce que s’il s’agit de faire du « farming » pour effectuer des « level-up » avant d’affronter les sous-boss et le boss de fin ça ne serait pas très malin hein ! (dans tous les cas, moi j’en ai gardé sous le coup pour la critique du tome 2).

note : 6/10

Alfaric

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