Théa Rojzman (scénario)
Erik Juszezak (dessin)
sous la direction de Bernard Lecomte

Un Pape dans l’Histoire, tome 6 :

Pie XII face au nazisme 1/2

Bande dessinée, histoire / XXe siècle
Publiée le 20 janvier 2021 chez Glénat

Paris, 12 décembre 1963. Rachel assiste à une pièce de théâtre, « Le Vicaire », accusant le pape Pie XII d’avoir fait silence face au génocide des juifs. Rachel a vingt ans mais une grande partie de sa famille fut déportée, elle savoir… Or, la représentation de cette pièce est interrompue par des extrémistes : « Sacrilège ! », « Caricature ! », « Interdiction ! » et même un terrifiant « Sales juifs ! » est prononcé… Rachel, bouleversée, fuit sur les pavés mouillés. Alors qu’elle chute, une femme lui vient en aide. Il s’agit de Miriam, fille d’Israel Zolli, le grand rabbin de Rome qui s’est converti au catholicisme et a pris Eugenio comme nom de baptême en hommage au pape. Ensemble, elles vont retracer le parcours du futur pape, de son enfance à Rome jusqu’au conclave d 1939. Comment Eugenio Pacelli, qui ne voulait pas être pape, devient Pie XII au moment même où l’humanité va sombrer dans la période la plus effroyable et complexe du XXe siècle…

C’est frustrant de voir qu’une œuvre est bien pensée et bien exécutée, mais d’en passer émotionnellement et intellectuellement totalement à côté.

Staline disait que militairement la papauté ne représentait rien, en oubliant que moralement elle représentait beaucoup… C’est sans doute pour cela qu’on lui est tombée dessus à bras raccourcis alors qu’elle ne pouvait pas grand-chose, alors qu’on a laissé tranquille ceux qui pouvaient faire quelque chose mais qui n’ont rien fait. Je pense bien-sûr aux Alliés qui était au courant des crimes contre l’humanité en cours, mais qui ont préféré continuer leurs crimes de guerre en cours plutôt que de couper les lignes de ravitaillement en ressources humaines des camps de la morts… (ça m’a toujours sidéré qu’une expression inventée par les Nazis ait été reprise avec autant de succès par l’hypercapitalisme ultralibéral, mais comme le dit le proverbe qui ressemble s’assemble)

Oui Pie XII a été d’une virulence extrême face à l’athéisme communisme, mais dans le même temps il a été passif voire complice face aux fascismes qui bafouait tous les commandements de l’Église. Mais qu’est-ce qui était le plus condamnable de détruire des églises ou d’envoyer des gens en camp de concentration puis d’extermination (y compris des gens d’Église) ? Que n’a-t-il pas mis sur un pied d’égalité tous les totalitarismes qui voulait remplacer la religion par l’idéologie et Dieu par leur chef !

De la même manière on lui a reproché les passeports vers l’Amérique du Sud offerts à des dignitaires allemands, mais d’un autre côté la papauté s’est mobilisée humainement et financièrement pour sauver les Juifs quand la ville de Rome a été occupée par les Allemands. Mais d’un autre côté personne n’a fait de polémique à propos de ces très neutre banquiers suisses qui d’un côté refusaient d’ouvrir leurs comptes aux survivants de la Shoah faute des certificats de décès adéquats, et d’un autre côté déroulaient le tapis rouge aux rats nazis qui fuyaient le navire du IIIe Reich.

Si l’on ne reconnaît pas les droits des nations, celles-ci, humiliées et opprimées, porteront dans le futur le joug qui leur aura été imposé, préparant la révolte et transmettant de génération en génération un triste héritages de haine et de vengeance.

En bref, bien qu’ayant connaissance de la pièce de théâtre de Rolf Hochhuth et du film qu’en a tiré Costa-Gavras intitulé Amen, j’ai dû mal à comprendre la controverse. Mais peut-être est-ce dû au fait que je sois un athée convaincu ? Pie XII n’est ni excusable ni condamnable, donc toutes les polémiques à son sujet ont tendance à m’indifférer. Je peux indiquer que malgré ses proclamées grandes qualités, son pontificat est beaucoup moins constructif que ceux de ses prédécesseurs : Léon XIII a pris à bras le corps la question sociale, Benoît XV a mouillé la chemise pour mettre fin à la WWI, et contrairement à son successeur Pie XI n’a pas hésité à critiquer ouvertement fascisme et nazisme… Quelque part, c’est presque emblématique que Pie XII ait fait canoniser le seul de ses prédécesseurs qui n’ait pas fait de vagues, autrement dit qui n’ait pas fait grand-chose en bon conservateur haïssant tout ce qui est moderne…

La narration de l’album est plutôt sympathique. Rachel et sa mère ont survécu aux rafles de 1942 grâce à l’humanité d’un gendarme ayant préféré ses convictions à la collaboration (on n’en dira pas autant des élites autoproclamées qui ont largement contribué à ladite collaboration). Après la représentation très mouvementée de la pièce de Rolf Hochhuth au Théâtre de l’Athénée en 1963, elle fait la connaissance de Miriam, fille du grand rabbin de Rome qui a bien connu le pape tant décrié. Rachel veut des réponses, et Miriam veut bien les lui apporter. Mais pour cela il va falloir voyager dans l’espace et le temps…

On retrace donc la vie du pape, né dans une famille de longue date au service de la papauté. On enchaîne les épisodes : une enfance tranquille, une adolescence tourmentée, son entrée à la papauté comme étudiant surdoué, sa mouvementée ambassade en Allemagne durant l’épisode spartakiste, son ascension comme secrétaire du pape, l’ascension de sœur Pascalina Lehnert comme sa propre secrétaire, et l’ascension des dictateurs modernes qui en bons homines crevarices ne respectent rien ni personne (comme les managers modernes faisant du business non-éthique comme ils disent)…

Rachel pose beaucoup de questions, et se pose beaucoup de questions (et on lui reproche ne pas croire, donc de ne pas être catholique). On essaye de bien poser les enjeux et d’être impartial, mais il y a un petit côté hagiographique un peu malséant. Eugenio Pacelli est insensible aux plaisirs de la table, mais on sait que c’est la marque des gens atteints de graves troubles digestifs. Il a ressenti d’étranges émois certes mais n’a guère été tenté hein. Par modestie il veut parler de lui à la troisième personne mais c’est carrément la signature des gens avec un ego surdimensionné.
Oui on veut renvoyer dos à dos les totalitarismes, mais point de vue du personnage oblige on s’attarde longuement sur les méchants communistes avec un racisme de classe accompagné d’antisémitisme et de sexisme, alors qu’on passe rapidement sur les délires d’Hitler et Mussolini…

 

Les travaux de la scénariste Théa Rojzman et du dessinateur Erik Juszezak sont soignés, mais j’avais un peu l’impression d’être dans un album de Tito dans la première moitié des années 1990, époque où la BD m’ennuyait profondément… Not Deal comme on dit, et j’en suis le première chagriné. Néanmoins les appendices de Bernard Lecomte sont vraiment intéressants et simples à lire et à comprendre, donc j’ai bien envie d’être du tome 2 quand même !

note : 6+/10

Alfaric

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