Patrice Quélard

Place aux Immortels

Roman, histoire / WWI 
Publié le 18 mars 2021 chez Plon
PRIX DU ROMAN DE LA GENDARMERIE NATIONALE 2021

Au printemps 1915, Léon Cognard, lieutenant de gendarmerie bourlingueur et anticonformiste, quitte sa brigade bretonne pour rejoindre le front de Picardie et prendre le commandement d’une prévôté de division d’infanterie. Sa nouvelle position est des plus délicates entre une bureaucratie tatillonne et l’hostilité légendaire des fantassins à l’égard des gendarmes, ces empêcheurs de tourner en rond considérés comme des planqués. Lorsqu’il est confronté à un suicide suspect au sein de l’unité dont il doit assurer la police, Léon traite l’affaire avec son opiniâtreté habituelle. Mais celle-ci l’entraîne dans un engrenage qui risque bien de faire trembler la Grande Muette sur ses fondements… Certains crimes ne doivent-ils pas demeurer impunis ? À la guerre, y a-t-il encore de la place pour l’idéalisme ? Et surtout, quelle valeur reste-t-il à la vérité quand seule compte la victoire ?

Merci à l’auteur, merci à l’éditeur, ils savent pourquoi. Pour me faire une idée j’avais lu les cinquante premières pages et j’avais beaucoup aimé, spécialement le personnage de Léon Cognard Don Quichotte breton perdu dans le petit monde de l’entre soi de l’élitisme sans élite. Mais je me suis ensuite perdu dans un autre livre qui a tué en moi tout envie de lecture, avant que le ciel me tombe sur la tête IRL. Un jour je vous raconterai tout cela, et on parlera des collabos pétainistes qui n’ont toujours pas compris que la WWII était belle et bien finie parce qu’ils sont couverts depuis les années fric triomphantes par une « hiérarchie » qui cultive le suprématisme managérial. J’ai repris ma lecture, j’ai terminé le livre, et j’ai terminé ma chronique. Et là je me suis aperçu que j’avais quasiment réalisé un copier-coller de celle de Fratricide le précédent ouvrage de Patrice Quélard… Damned, tout était à refaire !

Nous sommes en France en 1915, et après un passage par les brigades mobiles Léon Cognard et son hongre Rossinante rejoignent la prévôté pour officier sur la ligne de front de la WWI. On suit les heurs et malheurs du bonhomme pris entre l’enclume de ses subordonnés et le marteau de ses supérieurs. Mais autant ses subordonnés finissent par l’apprécier sinon l’adorer, autant ses supérieurs finissent par l’avoir en horreur… On se demande bien pourquoi ? Ben oui, il existait, il existe, et il existera toujours des gens bienveillants qui cultivent la liberté, l’égalité et la fraternité (ils sont toujours mal vus par la « hiérarchie »), et les gens malveillants qui passent leur temps à lécher le cul de ceux qu’ils jugent « supérieurs » et à pourrir la vie de ceux qu’ils jugent « inférieurs » (eux par contre sont toujours bien vus par la « hiérarchie »). En bref il y a ceux qui sont humains, et ceux qui ne le sont pas ou ne le sont plus (et le reagano-thatchéro-macronisme cultive très bien cette distinction, pour le plus grand malheur de l’humanité)…

Autant vous le dire de suite, dans l’édition que j’ai lu l’élément déclencheur du récit survient à la page 200 sur 380. Avant d’en arriver là je m’étais fait à l’idée du récit succession de tranches de vie d’une gendarmerie sur la ligne de front durant la WWI. Et franchement cette idée n’était pas déplaisante du tout, et le roman aurait pu (aurait dû ?) aller plus loin dans cette voie. Car j’aurais bien vu le récit glisser d’un personnage à un autre dans cette « comédie » humaine, qui en fait est une « tragédie », avec le greffier Bellec, le maréchal des logis Jouannic, ou les gendarmes Bodiguel, Le Goff, Guillevic, Bourhis, Tellier, Flohic et tutti quanti… (un dramatis personnae SVP, cela ne coût qu’une page de plus alors que cela facilite tellement les choses pour les lecteurs et les lectrices)
En plus des crimes de droits communs et de la multiplication des affaires d’adultère, la gendarmerie doit gérer les problèmes de couvre-feu, des laissez-passer sécuritaires, de marché noir, de désertion, et de jauge dans les débits de boisson. Sans parler des manquements à l’hygiène publique qui se transforment systématiquement en corvées de latrines. Et évidemment les premiers contrevenants appartiennent aux élites autoproclamées qui se croient au-dessus des lois qu’elles ont elles-mêmes édictées… Soupirs…

Le personnage principal tient beaucoup du Don Quichotte de Miguel de Cervantes, pas mal du Cyrano d’Edmond Rostand, et un peu du Cid de Pierre Corneille. Il se heurte encore et encore aux préjugés de classe d’une « hiérarchie » qui préférait crever que de reconnaître qu’elle a tort : ces pseudo élites brassent beaucoup d’air, c’est les moulins contre lesquels ils se bat vainement. Avec autant d’inhumanité, comment voulez-vous que l’humanité progresse ? Et quelles sont les réponses de la « hiérarchie » ? Suspension et mutation, révocation et radiation : plus les crimes sont graves et plus les peines sont faibles, car ils sont commis par « ceux qui sont tous », et plus les crimes sont faibles et plus les peines sont fortes, car ils sont commis par « ceux qui ne sont rien »…

La guerre… c’est tellement exceptionnel. Peut être que cela justifie des mesures d’exception. Après tout, dans le civil, on vous interdit de tuer, et là d’un seul coup, on vous paie et on vous décore pour le faire. J’avoue qu’il y a de quoi être désorienté.

Un jour voilà la Team Cognard convoquée pour constater un suicide. Sauf que c’est tout sauf un suicide, et qu’en investiguant à peine une autre affaire dans la même section passe de « mort au front » à « froidement assassiné par ses compagnons ». Les preuves sont accablantes, mais la « hiérarchie » refuse d’entendre quoi que se soit (et pour cause, vue qu’elle est complice voire ordonnatrice de moult crimes qui feraient scandales s’ils étaient révélés). Mais Léon Cognard 50% Pierre Fresnay (La Grande Illusion) et 50% Colonel Dax (Les Sentiers de la Gloire) ne veut rien lâcher, donc cela ne se finit pas du tout comme certains hauts placés l’aurait souhaité…
ATTENTION SPOILERS. Le face à face final à la fin de la guerre entre le justicier et le meurtrier est aussi glaçant que déprimant. On a tellement bourré le crâne de pauvres gens que même sans y croire vraiment ils se sont ralliés à l’idéologie des riches et des puissants. N’importe quelle fin, aussi insignifiante fût-elle, justifie absolument tous les moyens, aussi abominables fussent-ils. « Ceux qui ne sont rien » ne sont que des ressources humains corvéables et sacrifiables à merci, sur l’autel d’une sacro-sainte « efficacité » qui ne représente rien du tout à part une marche de plus sur l’escalier du pouvoir dans les délires de « ceux qui sont tout »… FIN SPOILERS…

On referme le livre avec un goût particulièrement amer dans la bouche. Et de la colère, beaucoup de colère, pour ne pas dire de la fureur qui donne envie de tout casser…
D’un côté on a « les premiers de cordées » : ceux qui seraient tout car persuadés qu’ils seraient au-dessus de tout. Mais qui sont-ils ces gens à part les représentants d’un élitisme sans élite : 50% des généraux on été limogés dès l’automne 1914 parce qu’ils ne savaient pas lire une carte ! D’un autre côté on a « les premiers de corvées » : ceux qui ne seraient rien et qu’on peut se permettre d’envoyer dans les tranchées contre leur volonté. Où est l’Union Sacrée quand on exécute sommairement ceux qui refusent de se faire massacrer, qu’on envoie en prison ou qu’on fusille sans aucune hésitation les récalcitrants, que les désertions deviennent légions, et que l’armée manquent de soldats au point de reporter toutes les peines de prison commuées en retour au front (y compris ceux accusés du crime odieux de désertion). On en est arrivé à un point où les soldats calculent les probabilités d’assaut sur le front pour être en prison à ce moment-là (donc de commettre le crime qui leur permettra d’y être en temps et en heure). Montrez moi les grandes différences entre la gentille démocratie libérale française et la méchante dictature communiste, car j’ai bien du mal à distinguer l’une de l’autre !!!

Fratricide avait écrit en plusieurs points de vue mais aurait sans doute été plus efficace avec un seul point de vue. Place aux Immortels qui finalement développe exactement les mêmes thèmes a été écrit du point de vue de Léon Cognard mais aurait sans doute été plus efface avec davantage de points de vue. Dans tous les cas Patrice Quélard a retravaillé sa plume pour être plus direct, mais il reste encore à la croisée des romans sérieux et stylés et des romans cool et fun. Ici il a donc les qualités de ses défauts, et les défauts de ses qualités. Il pourrait facilement donner dans le page turner, mais est-ce vraiment son ambition ? Quels que soient ses choix, j’ai hâte de savoir à quel sera le sujet / le cadre de sa prochaine œuvre…

J’aimerais qualifier ce livre de bon roman policier, mais je crois bien que l’enquête n’est qu’un prétexte. J’aimerais qualifier ce livre de bon roman historique, mais malgré un travail de reconstitution impeccable j’ai bien peur que le propos de l’auteur soit plus important que son cadre. C’est clairement un livre coup de poing, et franchement il faut plisser des yeux très très fort pour voire la différence entre les officiers du début du XXe siècle qui envoyaient des millions de gens à la mort pour quelques kilomètres de plus sur une carte, et les managers du début du XXIe siècle qui envoient des millions de gens à la précarité et la pauvreté pour quelques chiffres de plus sur un tableur excel. Plus les choses changent et plus elles restent les mêmes, n’en déplaisent aux reagano-thatchéro-macronistes avides de pseudo modernité, de réformes régressives et de i-machins qui ne servent à rien…

Je ne pourrais donc honnêtement vous le conseiller pour les vacances estivales car on parle de choses beaucoup trop graves et beaucoup trop poignantes pour se divertir. Mais je vous recommande vivement de le lire avant la fin de l’année, car il remet sacrément les idées en place face aux infox d’en haut et d’en bas qui racontent n’importe quoi pour nous déporter dans une réalité qui n’est pas la nôtre…

note : 8-/10

Alfaric

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