Estelle Faye

Porcelaine

Roman, fantastique / fantasy / histoire
Publié le 5 janvier 2013 chez Les Moutons Électriques

Un monde qui ressemble à notre Renaissance, menacé par la montée des océans grouillant de créatures maléfiques, où règne la violence, la famine et la misère. L’Église des Cendres prospère sur tout ce désespoir, menée par la mystérieuse Marie aux yeux verts. Dans une des dernières villes émergées, Joad tente d’apaiser les souffrances et se prépare à affronter l’Armée des Cendres. Joad et Marie vont s’engager dans une course dont l’enjeu n’est rien de moins que le sort du monde.

Le roman ne fait que 270 pages et je l’ai trouvé très rempli ou très lent, c’est selon comment on le prend. Il constitue un bel hommage à la Chine éternelle et un bel hommage au monde du spectacle (« the show must go on ! »). Le personnage de Li Mei étant elle-même un hommage aux petites mains sans qui la culture chinoise ne serait rien de l’Opéra de Pékin aux grandes heures du wu xia hongkongais.

Après La Dernière Lame, je retrouve avec plaisir la sœur cachée de Mathieu Gaborit. L’auteure est partie des éléments orientalisants de la dernière partie de son 1er roman (comme Kwanjaï le mafieux qui aime les arts martiaux et les animaux) pour explorer les mythes et légendes de la Chine éternelle avec un jeune homme qui pour avoir transgressé un interdit doit affronter la malédiction de l’immortalité sous l’apparence d’une Bête. Avec ce Porcelaine, Estelle Faye nous montre non seulement qu’elle progresse fortement dans sa voie, mais aussi qu’elle appartient indubitablement à l’école de la fantasy poétique. Pour le meilleur et pour le pire car le plus bel atout du roman est aussi sa plus grande faiblesse….
Peu voire pas de dialogues, de nombreux passage oniriques, un rythme étrange à la fois lent et précipité qui trop souvent fait avancer le roman par ellipses : difficile d’entrer dans l’histoire et de s’attacher aux personnages. Mais cette distanciation qui fait la part belle à la prose éthérée et à l’ambiance onirique colle très bien aux contes de fées voire aux histoires fantômes chinois. On nous transporte de la Chine des Trois royaumes à celle de l’Empire Mandchou avec comme fil directeur les heurs et malheurs d’immortels aux frontières de l’humanité. Mais quantité de trucs m’ont parus mal fagotés : les démons traqueurs, le cœur de porcelaine, le visage de terre vivante, le mûrier géant, le tombeau maudit, le double maléfique de Xiao Chen, les zombies de la Grande Muraille, la dette mongole, le corbeau de Hengshan… On sent que tout est plus allégorique qu’autres choses mais c’est dommage car il y avait matière à faire et parfois tout se précipite et se télescope dans la confusion. Les scènes horrifiques comme les scènes épiques restent ainsi assez perfectibles.

– Ce n’est pas seulement une troupe, ce sont tous les rêves, toutes les histoires et tous les mythes de la Chine qui défilent sous ses yeux. Toutes les traditions du théâtre, des fastueuses troupes du Sud aux acrobates aériens du Pays de Shu, en passant par les masques bizarres et inquiétants des rives de l’Océan… dans un arc-en-ciel de formes, de couleurs, de lumières et de sons.

Difficile de ne pas penser à l’héritage de l’immense Jean Cocteau ! On mélange le contre de la Tisserande et du Bouvier et celui de la Belle et la Bête : le duo amoureux devient un triangle, puis un quadrangle avant de se complexifier davantage encore dans une ambiance de plus en plus fantastique (ah ça on puise largement dans l’infini univers des contes de fées, et on est pas loin de la relecture de La Reine des neiges qui sera au cœur de son roman suivant)… Les demi-humains que sont Xiao Chen et Brume de Rivière se sont aimés avant de se haïr et c’est presque le monde entier qui se retrouve piégé de leur affrontement presque au-delà du réel.
Difficile de ne pas penser à l’héritage de l’immense Hayao Miyazaki ! J’ai bien senti qu’on frôlait les thèmes de Princesse Mononoke et du Voyage de Chihiro : la confrontation du monde ancien et sacré et monde moderne et profane, le désenchantement du monde, une nostalgie à fleur de peau, les relations entre mémoire et identité… Malheureusement tout cela n’est que trop partiellement exploité…

Le roman aurait sans doute gagné à insérer une partie Au Bord de l’eau  entre Plus précieux que le jade et La Voie des comédiens : l’histoire de Pieds-de-Cendres aurait gagné en intensité et ses relations avec Xiao Chen et Brume de Rivière auraient gagné en profondeur. Mais de manière générale c’est tous les personnages qui auraient gagné à être approfondi : l’inventeur dépressif de la porcelaine, le bûcheron devenu aveugle, le mercenaire convoyeur, les parents humain et inhumain de Brume, les premiers compagnons de Xiao Chen, le sage des Trois Gorges, les seconds compagnons de Xiao Chen, la sorcière mongole, Bastien d’Anvers, le général Cao Zhongshu, la courtisane Sun Yun, le brigand flamboyant Kuan Ti… C’est dommage car dans la même veine d’autres auteurs auraient pu élaboré dans le même format une galerie humaniste plus consistante.
Mais un roman qui finalement est parvenu à me laisser de belles images plein la tête : je n’oublierai pas de sitôt le dernier combat du phénix de soie !

note : 7/10

Alfaric

Parce que notre avis n’est pas le seul qui vaille, quelle note mettriez-vous à cet ouvrage ?

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