Franck Ferric

Trois oboles pour Charon

Roman SF publié le 2 novembre 2017
chez Gallimard, Folio SF

Pour avoir offensé les dieux et refusé d’endurer sa simple vie de mortel, Sisyphe est condamné à perpétuellement subir ce qu’il a cherché à fuir : l’absurdité de l’existence et les vicissitudes de l’Humanité. Rendu amnésique par les mauvais tours de Charon – le Passeur des Enfers qui lui refuse le repos –, Sisyphe traverse les âges du monde, auquel il ne comprend rien, fuyant la guerre qui finit toujours par le rattraper, tandis que les dieux s’effacent du ciel et que le sens même de sa malédiction disparaît avec eux.
Dans une ambiance proche du premier Highlander de Russell Mulcahy, Trois oboles pour Charon nous fait traverser l’Histoire, des racines mythologiques de l’Europe jusqu’à la fin du monde, en compagnie du seul mortel qui ait jamais dupé les dieux.

Page soixante et l’on sait déjà que le héros sera ce bipède massif, qui se réveille amnésique sur le champ de bataille tandis qu’un maraudeur tente de lui prélever la pièce cousue au creux de son arcade sourcilière… Il s’est réveillé, a croisé un vieux vétéran sur le lopin de terre qui lui a été octroyé pour services rendus à la guerre et s’est fait chasser par une bande de maraudeurs moins seuls et mieux organisés…
Suivent quelques pages en compagnie du nocher des morts, ce qui semble donner son titre à l’ouvrage et nous en apprendre davantage sur ledit héros.
Ensuite, nouveau chapitre, nouveau réveil et l’on entrevoit finalement la malédiction qui règne sur
notre personnage principal que l’on acclame : »Wodan ! ».

Il n’est de punition plus terrible qu’une éternité de travail sans but ni espoir.

Après la série Vikings et l’adaptation d’American Gods, l’on identifie quelque peu notre mystérieux prisonnier de son destin… D’autant que la première intervention le place sur le champ de ruines de troupes romaines rasées par des Saxons et cette deuxième au pied de l’arbre Irminsul, parmi les Saxons, face aux Francs.
Franck Ferric déploie un style agréable, emprunt d’un vocabulaire précis et varié, de phrases courtes et rythmées, qui savent aussi s’allonger dans les instants plus descriptifs ou introspectifs.
Cela manque peut-être d’un peu de souffle et de montées narratives. Et l’on s’enlise un brin dans ce récit pépère dénué de folie…
Suite à sa deuxième mort, notre protagoniste croise, cette fois, Caton le jeune, à proximité du mont Purgatorio. Peut-être une blague de Charon… Pas de souci, à s’étendre sur la grève il boira la tasse et ces flots lui assureront le même oubli que les eaux du fleuve Léthé.
Retour en Saxe ou plutôt en Prusse, pour le troisième épisode, en pleine guerre au cœur du sacro-saint empire germanique. Rencontre avec un soldat de métier devenu brigand. Pérégrination. Mort. Puis retour du côté de Charon… Cette fois-ci, foin de mystère, il lui pète la gueule ! Et ouais ! Que Charon finit par lui lâcher qu’il est Sisyphe et non Odin. Ceux qui auront lu le quatrième de couverture n’auront pu se voir abusés. Et que reproche-t-on à Sisyphe ? D’avoir fondé Corinthe ? Pas sûr… Ce grigou aurait dupé les Dieux, refusant par la même de s’y soumettre… Menotter Thanatos et obliger Zeus à envoyer Ares le délivrer… Non mais ! Quelle hybris ! De quoi rouler son rocher dans le Tartare pour l’éternité…
Ou alors, chez Ferric, de revenir une fois de plus. Car le Nautile nous fait comprendre que, les Dieux disparaissant, il reste le gardien du châtiment de Sisyphe et comme ce dernier ne parvient à payer son obole… Le Passeur ne lui autorise point le passage.
Alors, de l’arraisonnement d’un navire en difficulté par un concurrent battant pavillon otoman, navire d’un corsaire français opposé à la reprise du commerce espagnol en méditerranée, l’on passe en combat colonial en Egypte, Français contre Mamelouks et pâle simulacre d’un déicide par la destruction d’une momie à tête animale…
Ainsi s’exprime la morale de Charon, les Dieux ont disparu tandis que seuls se battent les vivants et que seuls les morts ont le savoir de la paix.
Alors Sisyphe retourne mourir à la guerre… Le Nocher devrait se méfier, à considérer que, la dernière fois, il s’est fait péter la gueule…
D’ellipses en guerre mondiale, l’homme n’en finit pas de se dresser, encore et toujours, quitte à se relever, et ne va jamais nulle part… Comme s’il devait manquer à jamais son coup. Eternellement maudit. Prisonnier rivé au Passeur comme le demeure l’avers de la pièce à son revers.
Et même si le corps se souvient, ne restera que l’oubli.

note : 6/10

Julien Schwab

Parce que notre avis n’est pas le seul qui vaille, quelle note mettriez-vous à cet ouvrage ?

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