Valérie Mangin (scénario)
Thierry Démarez (dessin)
d’après Jacques Martin

Alix Senator tome 10

La Forêt Carnivore

Bande dessinée, histoire / antiquité
Publiée le 03 juin 2020 chez Casterman

Répondant à l’invitation de son cousin, Alix est de retour en Gaule. Vanik, devenu gouverneur, veut faire renaître la splendeur perdue d’Alésia. Non loin de l’ancien oppidum d’étranges créatures se terrent. Ils sont les vétérans mutilés de l’armée maudite de Vercingétorix. Les ombres torturées du passé s’étendent sur le présent. Pris au piège de la forêt gauloise et de ses créatures, Alix devra faire face à la haine et aux rancœurs tenaces.

Dans ce tome 10 intitulé La Forêt Carnivore, Alix traumatisé par les tragédies précédentes décide d’effectuer un retour aux sources en allant rendre visite en Gaule à son cousin Vanik. Vu que son fils Titus est plus que jamais au centre des games of thrones romains, pas sûr que cela soit une bonne idée que de le laisser tout seul de son côté, lui qui a les mêmes deuils que lui à affronter…

C’est un tome qui aborde de front la thématique de l’acculturation subie et non choisie. La série en avait déjà parlé mais avec un arrière-fond colonialiste en pleine décolonisation (avant de me tomber dessus à bras raccourcis attendez que je fasse une rétrospective de la série mère, alors oui je sais ce n’est pas pour tout de suite car il faut que je la relise entièrement mais cela viendra en temps voulu). Et après un tome qui semblait faire suite au Spectre de Carthage, voici un tome qui semble faire suite à Vercingétorix.

Alix est l’hôte de son cousin Vanik et il ne reconnaît plus la Gaule, de plus en plus romaine et de moins en moins celte. Le récit de la Guerre des Gaules est plus vif que jamais, mais c’est la version des vainqueurs qui est en train de faire disparaître la version des vaincus. Un/Une activiste Social Justice Warrior aurait pu se contenter d’une opposition manichéenne entre gentils dominés minoritaires et méchants dominateurs majoritaires, mais Valérie Mangin est trop intelligente pour s’adonner à cela. Vanik fondamentalement optimiste espère réconcilier Celtes et Romains en reconstruisant Alésia pour en faire une ville nouvelle suivant les canons de la nouvelle civilisation (mais ouverte à tous quelles que soient ses origines). Mais les vétérans de l’épopée de Vercingétorix transformés en manchots par la « mansuétude » de Jules César, bannis de leur propre société parce qu’ils ont perdus et qu’ils ne sont pas morts, se sont réunis autour d’Ollovia la veuve de Vercingétorix pour faire d’Alésia un lieu de mémoire dédié aux derniers défenseurs de la Gaule libre (cela ressemble pas mal à la nouvelle Lynortis du cador de la Dark Fantasy Karl Edward Wagner, et je connais suffisamment l’auteure pour croire que tout cela ne soit pas que une coïncidence). Grosso modo on a des autorités qui sont emmerdés par des zadistes, la tension monte et Alix sert de médiateur entre les deux parce qu’il est aux Celtes dans le peplum ce qu’Old Shatterhand était aux Apaches dans le western…

– La haine est une lèpre très contagieuse et difficile à éliminer… 

Alix discute avec les deux camps et ne sait plus à quels saints se vouer. Les Romains accusent les Celtes d’attentats terroristes, et les Celtes accusent les Romains de mentir et d’effectuer des représailles par pur vice. Alix sait que Vanik est tout sauf un violent et qu’Ollonia ne saurait mentir. Et c’est là que le bât blesse : nous sommes dans un récit policier pour découvrir qui met de l’huile sur le feu entre les communautés, et il y a bien trop peu de pages pour que cela n’aille pas trop vite (le manga avec des tomes de 150 à 200 pages se prêterait merveilleusement au récit policier, d’où le succès et la longévité de Détective Conan, mais le média n’accorde pas assez d’importance à ce genre).
ATTENTION SPOILERS On découvre un métisse traumatisé par son identité qui hait ses origines celtes et qui vénère ses ambitions romaines, et qui enrage de n’avoir pas participé à la Guerre des Gaules pour y étancher sa soif de sang, donc il jette de l’huile sur le jeu dans l’espoir d’un nouveau conflit où comme Jules César il pourrait découper des mains à satiété. Nous sommes face à un véritable psychopathe, mais comme celui-ci appartient à la bonne société il est intouchable (refrain que trop bien connu)… FIN SPOILERS

J’aimerais approfondir sur le sujet de l’acculturation. L’américanisation du monde montre bien qu’il n’est nul besoin de conquête pour dominer le monde. C’est vrai aujourd’hui et c’était vrai hier ! L’Afrique du Nord s’est hellénisée autant que l’Asie sans passer par la case Alexandre le Grand, puis elle s’est romanisée bien avant que Rome ne l’annexe. C’est vrai également pour la Gaule. Oui mais non, les suprématistes ne peuvent imaginer le pouvoir sans violence, donc il faut passer la conquête et son cortège d’horreurs sans nom pour qu’ils soient satisfaits. Que de souffrances éprouvées par une majorité pour des plaisirs pervers éprouvés par une minorité : bienvenus dans le monde de la ploutocratie mondialisée…
Sinon on sait bien que Valérie Mangin n’a pas ménagé ses efforts pour la place des femmes dans la bande dessinée, mais comme elle « cishet blanche » et que cette BD ne passe pas le Test de Blechdel j’imagine que les « fondamentalistes féministes » vont la qualifier de « sexiste »…

note : 7,5/10

Alfaric

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