Charlotte Bousquet

L’Archipel des Numinées

tome 2 : Cytheriae

(pour public averti)

Roman, fantasy / dark fantasy
Publié en mai 2010 chez Mnémos

La splendeur de Cribella, capitale lagunaire de Cytheriae, n’est plus qu’un lointain souvenir rongé par l’humidité et la décrépitude. Certains prétendent même que d’effroyables créatures hantent ses canaux nauséabonds… Et voilà qu’aujourd’hui une vague de suicides inexpliqués endeuille le quartier populaire de Métida. Nola, écrivain public, et son amant, Angelo di Larini, sorcier réprouvé de l’Ordre de la Nouvelle Lune, entendent découvrir et combattre les forces à l’oeuvre. Leur dernière piste les mène à Malatesta, démon né d’amours contre-nature prisonnier du Dédale. Sera-t-il un allié… ou leur plus implacable ennemi ?

Quand j’ai lu ce livre en 2010 je l’avais bien aimé malgré une fin qui m’avait laissé sur ma faim (grâce à un beau style). Quand je l’ai relu en 2020 il m’a presque gonflé (parce que le style ne suffit pas, il faut aussi savoir raconter son histoire !)… On n’était mine de rien vraiment pas très loin d’un Seven Dark Fantasy, du coup quel gâchis ! (d’autant plus qu’une nouvelle consacré à Arachnae explorait déjà ce thème mais de manière trop succincte, format nouvelle oblige)

On est toujours dans un archipel italianisant quelque part entre la Renaissance et le Risorgimento, et on est dans le romantisme noir quelque part entre Edgar Allan Poe et Charles Baudelaire. Et si Arachnae était une Florence Dark Fantasy, entre terre et mer la Cité de Cribella est une Venise Dark Fantasy. Tout n’est que pauvreté et insalubrité, décrépitude et pourrissement : les tempêtes et les inondations ont ruiné la population, la famine et la maladie ont rendu la misère galopante, et l’arrivée massive de réfugiés en provenance n’arrange en rien la situation. La goutte d’eau qui faite déborder le vase, c’est l’apparition de mystérieuses créatures lovecratiennes qui dévorer les habitants de jour comme de nuit (enfin surtout la nuit). De tout cela le pouvoir incarné par la princesse Violante Moravia (= le trône) et les Trois Moires (= l’autel) n’en n’ont cure ! Protégées des malheurs du temps par leur palais et leur garde prétorienne, elles donnent comme n’importe quel gouvernement en panne de valeurs et de principes dans la propagande et dans l’Etat policier . Car la seule chose qui les intéresse c’est de conserver le pouvoir, pour qu’il ne se passe pas à Cytheriae ce qu’il s’est passé à Arachane (à savoir le pronunciamiento d’un mâle masculin qui après avoir décapité le haut clergé a décrété la séparation de l’Église et de l’État). Il y avait matière à aborder de front la thématique de la lutte des classes, mais tout cela sert au mieux d’horloge du destin au pire de toile de fond… (du coup pourquoi avoir placé plusieurs POVs là-bas ? Mais on va vite revenir sur le problème des POVs)

Le récit est centré sur le quartier populaire de Métida, frappé par une spectaculaire succession de suicides qui suite à la découvertes d’un faisceau de présomptions devient une succession de meurtres. Avec les cartes du tarot nous suivons donc un compte à rebours mortel à travers plusieurs groupes de personnages :
– les pensionnaires de la taverne L’Ambre rouge, avec le salon artistique de la propriétaire Rossana Paolo, et le bordel du locataire le Duc avec ses employées et ses clients…
– l’unité de gardes noires de Polissena Duccio confrontée aux crimes ordinaires et extraordinaires, qui se demandent pourquoi les autorités donne priorité à leur sécurité politique à elles plutôt qu’à la sécurité physique des habitants (ça et la tension grandissante entre l’officier homosexuelle qualifié d’intello parce qu’elle vient de la police scientifique et les subordonnés hétéros qualifiés de prolos parce qu’ils ont toujours patrouillé dans les rues)
– le journal « La Gazette de Métida » avec sa rédac-chef Catarina Bacci, ses chroniqueurs, ses pigistes et ses informateurs qui face aux événements comme à l’incompétence comme et à la malveillance des autorités passe de média grand public à média clandestin en guerre avec le gouvernement
– le couple formé par l’écrivaine publique Nola et par le nécromancien chasseur de monstres Angelo di Larini, au centre d’un nébuleuse de romances LGBT digne d’un telenovela latino-américaine

Charlotte Bousquet a fait le choix d’une écriture impressionniste : à travers d’un succession POVs d’une page on étale les état d’âme de dizaines de personnages (le dramatis personae en compte une trentaine, mais perso j’ai arrêter de compter passer la cinquantaine). Le pire c’est qu’on met en avant des POVs qui n’ont aucun lien avec le récit (les soupirs d’ennuis du dandy Octavio Mangori ne servent à rien du tout, et les questions existentialistes du condamné à mort d’Andrea Nessi ne servent à rien du tout), et qu’on fait de la rétention d’information sur les POVs au centre du récit. Bref, trop de personnages, trop de POVs, du coup le récit avance au ralenti et l’intrigue démarre quasiment à sa résolution.

Une mélodie dans le vent
Éparpillée au fil du temps
En quelques notes insensées :
Et meurent nos amoures blessées.

Le fer heurte ms os blanchis
Par le temps, le vent et la pluie.
Un éclat jaillit dans le nuit,
Vestige de mon cœur trahi.

Mêlé à mes larmes, un ichor
Souille ma peau de noirs sillons :
Décharné, yeux crevés, un mort
Pleure et implore le pardon.

Côté thriller, dans la conception il y a de bonnes idées : ATTENTION SPOILERS

– on commence par l’enterrement de l’héroïne, du coup on s’attend à sa mort, mais s’il elle survient fatalement ce n’est pas du tout de la manière dont on s’y attendait (à savoir des mains du serial killer qui sévit à Métida)

– le tueur en série est un cultiste lovecrafien, mais il n’est pas un marionnettiste mais un marionnette de Kebahil le Grand Ancien et c’est à l’insu de son plein gré qu’il devient un agent du chaos

Mais côté thriller il y a des maladresses dans l’exécution : ATTENTION SPOILERS

– quand le fil directeur du récit repose sur un whodunit il faut que celui-ci soit réussi, or au moment où je me suis dit « au fait qui le tueur ? », j’ai regardé le dramatis personnae et j’ai tout de suite identifié le seule personnage qui n’a aucun lien avec les autres, et dès sa la 3e fois qu’il est mentionné il cache toutes les cases du gars louche et mystérieux qui ressemble en tout point avec le POVs du meurtrier… Les fausses pistes c’est la base du roman policier, et ici la seule fausse piste qui est proposée est très artificielle et peu crédible (on ne dit absolument rien sur Angelo di Larini, ni sur son présent ni sur son passé, mais il ne coche aucune case du gars louche et mystérieux qui ressemble en tout point avec le POVs du meurtrier)…

– le truc c’est que tout le monde a des secrets (peur et terreur, regrets et remords, envie et jalousie, amour et haine, culpabilité ou sombre passé), et que serial killer utilisent ces secrets pour offrir des sacrifices à Kebahil le Grand Ancien, sauf pour les deux personnages principaux et Nola et Angelo… Pour le nécromancien c’est simple aucune information sur le pourquoi du comment de sa radiation de l’Ordre de la Nouvelle Lune (idem pour ses activité ou ses objectif), pour Nola qui passe son temps à se scarifier de plus en plus gravement parce qu’elle ne sent pas bien dans sa peau et qu’elle n’a pas envie de vivre c’est plus compliqué. Ils ne posent aucune question à leur conjoint / conjointe et demande pas ni à l’autre ni à l’autre de changer : c’est le fondement de leur relation. Nola est jeune et belle, intelligente et cultivé, une poétesse d’avant-déguisée en scribe, tout le monde la respecte et tous les beaux gosses et toutes les belles gosses se pâment devant elle, toutefois elle terriblement mal dans sa peau avec ses tendances dépressives voire suicidaires (Mary Sue ou Dark Mary Sue ?). Donc quand Nola est la seule à résister au sortilège de folie du serial killer on est en droit de se poser des questions : elle est différente parce qu’elle est une artiste, elle ne peut pas devenir folle parce qu’elle est déjà folle, elle ne peut pas souffrir davantage parce qu’elle souffre déjà beaucoup tous les jours, elle n’est pas de passé donc de secret parce qu’elle est amnésique, ou elle a déjà vécu un trauma tel que plus rien ne peut l’affecter davantage que ce qu’elle a déjà subi ? Non seulement on n’en sait fichtre rien mais en plus c’est confus voire incohérent et contradictoire ! (et en plus on spoil le passé de Nola dès le départ avec Lotario victime du serial killer hanté par le souvenir n’Antonella qui a la même apparence et le même parfum que Nola)

 

Dans Arachnae il y a avait le personnage de Julia Sforza épouse délaissée qui participait à des intrigues et des complots pas possibles contre son mari et contre son fils, avant de se réfugier dans ses romans à l’eau de rose. Dans Cytheriae, l’auteure enfonce le clou avec le personnage de Pamina prostituée mal dans sa peau, qui pratique le masochisme en se punissant elle-même en n’acceptant que les clients les violents, avant de se réfugier dans son roman à l’eau de rose en espérant que le happy end vécu par son héroïne est le signe qu’elle va elle aussi connaître un happy end IRL. Du coup que penser de Nola qui fait souffrir son corps pour soigner son âme, et qui se réfugie dans l’autobiographie de Malatesta le monstre du dédale qui dévore les corps et les âmes au point de rejouer l’amour interdit avec lui les amours interdites de la mère et du père de la Bête ?

Déjà le Dédale au centre de Cribella est habité par un émule du Minotaure demi-frère de l’actuelle souveraine auquel on sacrifie les prisonniers de droits communs puis au fil du roman les prisonniers politiques : j’ai mis beaucoup de temps à comprendre qu’il ne s’agissait ni d’un mythe légendaire, ni d’une création littéraire à l’intérieur d’un création littéraire mais bel et bien de la réalité (d’un autre côté avec tous ces POVs qui nous balade à gauche et à droite mais qui tournent autour du pot). Ensuite le démon caprin aux ailes noires aux yeux de braises nommé Malatesta, bonjour l’originalité. Il a écrit sa autobiographie hautement littéraire : suspension d’incrédulité mise à mal pour un hybride analphabète laissé à son sort, d’autant plus que Nola met la main dessus « par hasard » (donc par volonté de l’auteure) alors qu’elle était destinée à Orfeo le maître d’Angelo assassiné sur une île septentrionale dans son combat contre Kebahil (ça alors)… Le fameux lien entre eux est-ce que cela serait que l’une a perdu son enfant et que l’autre n’a jamais connu ses parents ? Dans ce cas cela aurait été bien de l’expliquer quelque part ! Et pourquoi lui seul peut lutter contre les monstres lovecratiens ? pourquoi les monstres lovecraftiens veulent sa peau ? Pourquoi il faut le libérer : en espérant qu’il va prendre parti pour ceux qui l’ont enfermé tout sa vie parce que l’ennemi de mon ennemi est mon ami ? Là aussi tout ceci aurait mérité des explication au lieu de se perdre dans les états d’âmes de personnages sans aucun lien avec l’intrigue…

Et la résolution du récit dans tout cela ? ATTENTION SPOILERS
Le peuple se révolte, le gouvernement tape dans le tas, élimine toutes les têtes qui dépassent, et fournit un bouc-émissaire à la plèbe pour gagner du temps. Pas de sauveur, pas de miracle, et la plupart des personnages meurent inutilement sans n’avoir rien accompli du tout. Angelo quitte Cribella voué au chaos et à la ruine puisqu’il n’y a plus personne pour s’opposer aux Grands Anciens et aux monstres lovecraftiens, pour continuer la lutte sous d’autres cieux…
Pour finir il y a un côté littéraire très prégnant dans le roman : on a moult incipits avec des extraits de livres, de pièces de théâtres, de libelles, de poèmes et pamphlets. Le personnage principal est écrivain public et poétesse d’avant-garde, moult personnages secondaires sont auteurs, éditeurs, imprimeurs, libraires et journalistes (la rédaction de « La Gazette de Métida » fonctionne de manière trop moderne pour être honnête, comme la police de Cribella par ailleurs, mais peu importe). C’est bien beau tout cela, mais toutes ces pages n’auraient-elles pas fait mieux de se mettre au service du récit plutôt que du style et de la transfiction postmoderne ?

note : 6/10

Alfaric

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