Ed McDonald

Blackwing, tome 2 : Le Cri du corbeau

Roman, dark fantasy / arcanepunk / weird west
Publié en VF le 12 juin 2019 chez Bragelonne
Publié en VO le 28 juin 2018 chez Gollancz (« Raven’s Mark #2 : Ravencry »)

Quatre années se sont écoulées depuis que la Machine de Nall a repoussé les Rois des profondeurs à l’autre bout de la Désolation, mais alors qu’ils font pleuvoir le feu du ciel, des forces plus sombres encore conspirent contre la république. C’est dans ce contexte troublé qu’un nouveau pouvoir émerge : un fantôme dans la lumière, qu’on surnomme la Dame lumineuse, et qui se manifeste sous forme de visions. Le culte qui la vénère prend de plus en plus d’ampleur. Lorsque le caveau ésotérique de Corbac est profané, un objet d’une puissance terrible y est dérobé, et Galharrow et ses Ailes noires sont chargés de découvrir lequel des ennemis de Valengrad s’en est emparé. Pour sauver la cité, Galharrow, Nenn et Tnota devront s’aventurer dans le lieu le plus retors et le plus dangereux qu’ils ont jamais visité : le cœur même de la Désolation.

Ed McDonald avait parfaitement réussi son entrée dans le monde de la Fantasy comme naguère avant lui Joe Abercrombie. Mais pour son 1er livre il avait eu tout le temps du monde pour distiller son imaginaire et mettre ses tripes sur la table. Pour son 2e livre le plaisir de la découverte n’étant plus là, il faut faire aussi bien, en temps limité, et en sachant qu’on est attendu au tournant. Ici non seulement il évite la malédiction du « tome de transition », mais il évite également la malédiction du « tome 1 bis ». Toujours est-il que je dois signaler qu’à l’image de presque toute la SFFF anglaise post-moorcockienne, nous sommes dans un roman antisystème, donc amis macroniens et amis nécromanciens passez votre chemin car tout ce qui va suivre ne vous fera pas du bien… Alors oui il nous refait le coup du roman à complots et à intrigues, mais je dois avouer qu’à un moment j’étais complètement dans la peau de l’inspecteur Finch dans le film V pour Vendetta : je voyais parfaitement l’auteur qui derrière le masque de V disposait ses dominos pour nous amener là où il le voulait… C’était vertigineux certes, mais tellement grisant !

Quatre années se sont écoulées depuis le Siège et la Bataille de Valengrad, et la ploutocratie mondialisée a un peu lâché le grisby pour rétablir la situation (on appelle cela le « Syndrome 1945 », ou « putain on a failli y passer avec nos conneries »), sauf que les mauvaises habitudes ont la vie dure et que les conneries recommencent de plus belle avec des élites déconnectées de la réalité qui après des décennies d’errements ne savent qu’abandonner leurs missions publiques pour servir leurs intérêts privés en inventant des taxes à la con pour augmenter des charges de plus en plus inégalitaires donc de plus en plus injustes. C’est la Marshal Davanheim qui met le feu aux poudres avec une nouvelle taxe d’autant plus conne qu’elle est totalement injuste (pour la précision, sur les enfants cette fois-ci). Et plutôt que d’écouter la colère qui gronde parmi une population désespérée que tous ses efforts et tous ses sacrifices ne servent à rien, elle ne fait que se draper dans sa toge blanche avant de s’enfermer dans sa tour d’ivoire. Là-dessus se greffe le mouvement populaire et révolutionnaire des « Capuchons Jaunes », persuadés que les apparitions de plus en plus fréquentes de la Dame de Lumière est le signe que les astres sont propices à un nouvel ordre mondial comportant plus de liberté, d’égalité et de fraternité (non je ne déconne pas, et en plus l’auteur à conçu et écrit tout cela bien avant le début du mouvement des Gilets Jaunes). Les pèlerins affluent de toute la République, rallient de plus en plus d’habitants à leur cause avant d’organiser un grand rassemblement devant le Soleil de Fer, Tour de Babel symbole de leur mouvement censé remplacer la Machine de Nall, Arme de Destruction Magique qui fonctionne ou ne fonctionne pas selon le bon vouloir du Grand Capital (c’est plus compliqué que cela, comme le savent lecteurs/lectrices du tome 1). Au lieu de calmer le jeu, de parler et d’écouter elle ordonne la dispersion de la foule par la force en tirant dans le tas : c’est une boucherie sans nom, mais le peuple en colère et supérieur en nombre oblige les autorités à démissionner quand elles ne quittent pas Valengrad comme des rats… C’est la version Dark Renaissance / Weird West / Arcane Punk / Post-Apo des événements français du 01/12/2018 !

Que vient foutre Ryhalt Galharrow là-dedans ? Au sein des Ailes Noires renouvelées en hommes et en matériels, il n’a jamais été été aussi bien entouré et aussi bien loti. Sa troupe de chasseurs de primes et de sorcières est devenue une armée à part entière et on retrouve avec joie Nell la guerrière et Tnota le navigateur, et on découvre Valiya intendante / espionne en chef a fort à a faire pour faire le lien entre les ancien Corbeaux et les nouveaux Choucas et Corneilles. Et notre anti-héros se retrouve avec une fille et un fils adoptive :
– la fille adoptive c’est Ameira qui comme tant d’autres a tout perdu, qu’il a recueillie et que ne rêve que de suivre les traces de son père adoptif
– le fils adoptif c’est Gleck Maldon qui a perdu ses yeux mais pas la vue, ses pouvoirs magiques mais pas son immortalité acquise au prix de son humanité… Faut d’avenir et de motivation, il se retrouve coincé dans le corps d’un enfant impuissant et il se soûle autant sinon plus que son vieil ami qui se fait passer pour son père…
Il est averti par un vieux navigateur de la désolation qu’un ennemi intérieur fricote avec l’ennemi extérieur : le récit débute immédiatement par une tentative d’assassinat dont le principal suspect a été enterré deux semaines plus tôt. Et en pleine révolution, il découvre qu’un vieux compagnon d’armes est à la tête de l’ordre nouveau, qu’une vieille connaissance réunit une armée de marionnettes peu ou prou zombifiées, et que le camp adverse a décidé de rejouer le Blitz de Londres (c’est criant de réalisme alors que l’auteur explique qu’il n’a fait que passer à la moulinette les souvenirs de ses grands parents, alors que des auteurs prétendument solidement documentés se sont plantés car incapables de se mettre à la place de gens victimes de la peur et de la douleur). Pour effectuer un retrour à la normal, il faut retrouver un artefact maudit, arrêter les bombardements ennemis, stopper un mago-psycho qui veut devenir à la fois le dieu et le grand-prêtre de sa propre religion, mais d’abord et surtout il doit tout faire pour sauver sa peau et celles de ceux à qui il tient encore… Évidemment les défenseurs du monde libre sont une fois de plus aux abonnés absents : la guerre totale se jouent sur plusieurs fronts, et les Rois des Profondeurs et les Sans-Noms (héritiers des super-sorciers de Glen Cook) s’affrontent ailleurs pour hâter ou empêcher le réveil du Grand Cthulhu !!! (non je ne déconne pas, c’est exactement ça, car les astres semblent vachement proches d’être propices mais on ne sait pas pour qui)

Entre guerre et enquête sur fond de survival-horror (certaines scènes semblent sortir tout droit des récits les plus flippants, les plus glauques et les plus malsains d’H.P Lovecraft et/ou de Clive Barker : OMG l’usine à viande de Saravor !!!), on retrouve la narration à la première personne, la structure en page-turner, les parties de poker-menteur entre super-sorciers, le puzzle à reconstituer et les allers-retours dans les terres changeantes et maudites peuplées d’horreurs indicibles sous un ciel fracturé tout le temps en train de hurler… Mais l’équilibre entre le personnage principal et les personnages secondaires est beaucoup plus abouti et permet de développer un chouette relationship drama avec une véritable comédie humaine (dont chacun des membres aurait mérité un roman entier). Autre amélioration l’univers et ses spécificités ont déjà été présentés, donc plus besoin de cogiter pour se les représenter d’autant que les rappels sont courts mais efficaces. Mais surtout dans le tome 1 l’antihéros désabusé peut-être Gary Stu de son auteur croisait une galerie de salauds tous plus haïssables les uns que les autres avant d’être embarqué par Ezabeth Tanza dans une course contre la montre pour sauver le monde, alors qu’ici il croise une galerie de héros tous plus admirables les uns que les autres avant d’être embarqué par ce qu’est devenue Ezabeth Tanza dans une nouvelle course contre la montre pour sauver le monde. Et pour empêcher le nouveau complot contre la Cité de Valengrad et l’Alliance Dortmark, Gleck Maldon le maudit lui offre une power armor arcanepunk pour devenir la Colère de Dieu sur Terre, avant que ne se manifeste à son tour la Colère de la Dame de Lumière : ah ça les bad guys sont obligés de se chier dessus !!!
ATTENTION SPOILERS D’un côté toutes les intrigues, complots, manipulations et trahisons du savant fou Saravor l’ont conduit aux portes de la déification ; d’un autre côté tous les exploits et tous les sacrifices consentis par les héros anonymes de la population de Valengrad ont amené Ryhalt Galharrow à être sur son chemin pour stopper sa chute libre vers l’apothéose au moment le plus opportun. Comme dans tout récit épique qui se respecte, le sort du monde se joue en l’âme d’un seul être : les principaux protagonistes reprennent les rôles jadis dévolus à Palpatine, Dark Vador et Luke Skywalker dans Le Retour du Jedi. Pour que le Mal triomphe, il suffit juste que les gens de bien ne fassent rien (ou que les élites autoproclamées fassent semblant d’agir pour le Bien comme le font si bien les membres de « La République En Marche »), et comme Ed McDonald est un mec bien ce n’est absolument pas le cas ici ! FIN SPOILERS
Si vous ne ressentez pas un frisson de supracooltitude, on ne peut plus rien pour vous : vous êtes déjà morts à l’intérieur !

– On cherche parfois les fils nous ramenant à notre passé, on les remonte comme le dédale secret d’un labyrinthe. Ces souvenirs dans notre sillage semblent plus simples et suscitent une certaine nostalgie, car toutes les difficultés de l’époque ont été balayées par les années.

Par pure honnêteté je vais signaler le trou d’air qui accompagne Ryhalt Gallharow qui seul, désespéré et en pleine crise d’identité et en plein crise hallucinatoire tente de regagner la civilisation avant son enlèvement et son évasion. Alors certes plusieurs lectures se sont intercalées entre les tomes 1 et 2 de cette série : je retrouve pas mal des intentions des Mondes Miroirs de Raphaël Lafarge et Vincent Mondiot, mais force est de constater que les ombres d’Ibram Gaunt, de Gregor Eisenhorn et de Gideon Ravenor planent sur Ryhalt Galharrow qui semblent tout droit sortir d’un roman noir… Mais les anti-héros « badass epicness to the max » de Dan Abnett avaient-ils vraiment les forces nécessaires pour affronter conjointement les forces du Grand Capital et de la Bête Immonde ? Depuis Arthur Pendragon, voire bien plus loin encore, l’Éternel Champion ne peut triompher sans Éternels Compagnons : le chef des Ailes Noires a trouvé ses « badass normal », et c’est le plus sérieusement du monde que je peux écrire que le nouvel Albator a enfin trouvé les nouveaux membres d’équipage de son nouvel Arcadia. Et c’est avec eux et surtout pour eux qu’il s’enfonce au cœur de la folie et que dans les ténèbres il flamboie d’autant de feux que que la Dame de Lumière qu’il aime de toutes ses forces et qu’il vénère de toutes de ses pensées !

Dans le tome 1 nous découvrions un Ryhalt Galharrow soudard et soiffard qui ne faisait son travail parce qu’il n’y avait pas d’autre alternative. Après tout ce qu’il traversé et après tout ce qu’il a subi, à la fin de ce tome 2 nous découvrons un Ryhalt Galharrow qui a retrouvé foi tant en lui-même qu’en l’humanité, combattant de la liberté, défenseur de la veuve et l’orphelin, et véritable paladin en croisade contre les forces obscures de la crevardise. Désormais rien ne pourra plus l’empêcher de délivrer la dame de ses pensées, Déesse de Justice bannie quelque part entre les barrières du multivers ! Elle est le Messie, et il est son Prophète !!! Pour les peuples opprimés du monde entier elle n’est pas un Nouvel Espoir mais elle est le Dernier Espoir ; pour la ploutocratie mondialisée c’est une Reine en Jaune dont il faut châtier les cultistes factieux et séditieux relevant de la peste brune qui osent remettre en cause l’ordre établi à son seul profit. Quels que seront les choix effectués par l’auteur dans le tome 3 (sur lequel le camarade Apophis est déjà sur le coup, et qui a réalisé une fort chouette chronique du tome 2), il est fort à parier que les Sans-Noms partisans du Grand Capital et les Rois des Profondeurs partisans de la Bête Immonde, ces deux faces de la même pièce, ne laisseront pas faire ceux qui croient en une 3e voie loin du TINA reagano-thatchéro-macronien ! Au fond de la Boîte de Pandore il reste toujours l’Espoir, donc ce n’est pas la fin mais le commencement… (dans sa lutte contre les forces obscures de la crevardise, Ed McDonald a rattrapé Joe Abercrombie en moins de 2 romans : je n’ai qu’une chose à dire et c’est chapeau l’artiste !)

Michael Moorcock figure incontournable de l’Histoire de la SFFF a réussi l’exploit d’extirper peu ou prou le tolkienisme bourgeois des genres de l’imaginaire britanniques : le Royaume-Uni est le pays de cette sorcière de Margaret Thatcher qui a été si bien reçue en enfer, mais aussi celui de Robin des Bois qui volait aux riches ce qu’ils avaient extorqué aux pauvres avant de leur redonner… Nombreux voire innombrables sont les auteurs qui comme lui pensent que quand les gens ne croient plus en leurs autorités pour défendre la justice, c’est vers les hors-la-loi qu’ils se tournent pour la faire appliquer. C’est ainsi qu’année après année, auteur après auteur, œuvre après œuvre une nouvelle Table Ronde s’est reconstituée autour d’antihéros tous les badass les uns que les autres ! Je vous propose de jouer un peu ensemble : vous devez retrouver le nom de ses nouveaux membres, et pour commencer sachez que désormais Merlin l’Enchanteur est connu sous le nom du Docteur et que désormais Tristan l’homme lune et Yseult la femme soleil ont été remplacés par Ryhalt Galharrow et Ezabeth Tanza !!!

note : 8,5/10

Alfaric

Parce que notre avis n’est pas le seul qui vaille, quelle note mettriez-vous à cet ouvrage ?

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