Ed McDonald

Blackwing, tome 3 : La Chute du Corbeau

Roman, dark fantasy / arcanepunk / weird west
Publié en VF en avril 2020 chez Bragelonne
Publié en VO en juin 2019 chez Gollancz (« Raven’s Mark #3 : Crowfall »)

Un cataclysme a frappé le Cordon, l’ultime ligne de défense séparant la civilisation des Rois des profondeurs. Des pluies rouges accablent sans cesse la terre, de nouvelles monstruosités se nourrissent de terreur dans l’ombre et le pouvoir des Sans-Nom, les dieux qui protègent la république, demeure inutilisable. Les capitaines des Ailes noires qui les servent sont éliminés un par un, et même les immortels ont fini par apprendre ce que mourir signifiait. Entretemps, le pouvoir des Rois des profondeurs n’a fait que croître ; ils sont sur le point d’assener le coup final. Ryhalt Galharrow se tient à l’écart de tout cela. Il s’est aventuré plus loin que jamais dans ce désert appelé la Désolation. Celle-ci l’a changé. Mais tous les pouvoirs ont un prix, et à présent les fantômes de son passé, jusqu’alors confinés dans ces terres perdues, l’accompagnent partout. Ils le suivront même, ainsi que les quelques capitaines des Ailes noires encore en vie, pour son ultime mission dans les ténèbres.

 

Dans une bonne trilogie, chaque épisode a son importance, et chaque épisode apporte sa pièce à l’édifice. C’est tellement le cas avec le Blackwing d’Ed McDonald que je suis obligé d’applaudir des deux mains !!!

 

Dans ce tome 3 intitulé La Chute du Corbeau, 10 années se sont écoulées depuis la Bataille de Valengrad, 6 années se sont écoulées depuis le Jour du Soleil de Fer, et 3 années depuis l’Averse de Corbeaux. Et dans leur guerre sans fin, la nouvelle confrontation entre les Rois des Profondeurs et les Sans-Nom a de nouveau fracturé le monde : les averses de pluies sont devenues violemment hallucinogènes, les récoltes ont muté avant de dépérir, les oiseaux migrateurs sont devenus dangereusement carnivores, et villes et campagnes sont désormais hantés par des homoncules faisant office de redoutable vampires psychiques vendues aux forces obscures du TINA…
Le Dormeur ne s’est pas réveillé et le monde n’a pas été inondé. Acradius a siphonné une partie de son pourvoir pour asservir Iddin, Nexor, Philon et Balarus les autres Rois des Profondeurs, et ainsi devenir l’Empereur des Profondeurs. Depuis les anciens royaumes de Dhojara, il lance un nouvel assaut contre la République de Dortmark. Face à eux Bastombe et la Dame des Vagues semblent avoir pris les choses en mains en remplacement de Nall et Corbac, blessés voire mourants. Après les tomes 1 et 2, on ne sait que trop bien comme Ryhalt Galharrow que ce n’est pas la guerre du Bien contre le Mal, mais la guerre de gros connards qui veulent absolument gagner contre de gros connards qui ne veulent absolument pas perdre. La concurrence c’est bien, mais le monopole c’est mieux disait cette ordure de J.P. Morgan au XIXe siècle : les magos psychos s’acharnent tous à être le seigneur des cendres, comme IRL nos milliardaires s’acharnent tous à être l’homme le plus riche du cimetière…
Les années 2000 ont vu triompher le grimdark martienien, que GRR Martin résumait à cette devinette :
« On a enfermé quatre personne dans une pièce, on a confié un couteau à un paysan, et un aristocrate, un marchand et un prêtre promettent monts et merveilles au paysan pour qu’il se rallie à telle ou telle faction. Qui va-t-il se passer ? Qui va vivre ? Qui va mourir ? »
Mais la crise des subprimes est passée par là. Désormais à chaque fois que les élites autoproclamées nous disent qu’elle est finie et qu’on en est sorti, une autre crise vient en prolonger les effets aussi néfastes que délétères qui impactent toute la société (sauf comme par hasard lesdites élites autoproclamées). C’est tout naturellement qu’une vague d’œuvres antisystème a pris de l’ampleur dans tous les genres et tous les médias. Elle a rencontré la hype grimdark bien trop complaisante avec les forces obscures de la crevardise. C’est ainsi qu’ait né que Mark Lawrence appelle le « grimdark avec du cœur ». Bien qu’il ait quand même ouvert la porte et semé quelques petits cailloux blancs, pas sûr que GRR Martin ait songé que le paysan avec un couteau pouvait éliminer les représentants les élites autoproclamées pour que le pouvoir revienne à l’humanité…

 

J’ai eu la chance et le privilège de rencontrer l’auteur et de discuter avec lui. Aucune chance d’associer quelqu’un d’aussi sympathique et convivial avec une vision du monde « noir c’est noir, il n’y a plus d’espoir ». C’est donc tout naturellement qu’il met ses couilles en bandoulières pour faire un fuck magistral aux forces obscures du reagano-thatchéro-macronisme… Donc c’est tout naturellement que Ryhalt Galharrow a bien changé !
Thèse. Dans le tome 1, il explorait le pire de l’humanité et Ezabeth Tanza essayait de le sauver de lui-même…
Antithèse. Dans le tome 2, il explorait le meilleur de l’humanité et il faisait tout pour délivrer Ezabeth Tanza devenue une déesse en exil, tandis que de l’autre côté du miroir Ezabeth Tanza faisait tout pour le sauver lui des dangers mortels qui le menaçaient…
Synthèse. Dans ce tome 3, force est de constater que notre antihéros n’a pas renoncé, et qu’il a passé bien des années à échafauder un plan pour ramener son défunt amour de son enfer de lumière (avec un « marteau » et une « enclume »). Et il est prêt à tout, y compris à user des mêmes méthodes que ses adversaires et à devenir ce qu’il déteste le plus pour parvenir à ses fins. Les games of thrones comptent donc un joueur supplémentaire, mais Ryhalt Galharrow ne combat pas pour lui mais pour les autres. Et les autres, c’est humanité toute entière…

 

On n’est jamais prêts, mais cela ne nous arrêtait pas. L’ennemi était là dehors, quelque part, ses pensées venimeuses toujours braqués sur nous, en attendant de profiter du moindre avantage.
Bien sûr, ils allaient à nouveaux se dresser contre moi. Ils étaient ce qui se rapprochait de plus de dieux pour des humains, mais auraient à faire à ces grandes gueules d’Amaira, à ces filous de Dantry, à toutes les Yaliya de la terre, et à cet insupportable petit salopard de Maldon, qui vivrait sans doute éternellement.

Je suis arrivé à un point où chaque œuvre me dévoile les liens qu’elle a tissé avec toutes les autres. Parce que consciemment leurs auteurs rendent hommage à ceux qui les ont fait rêver, parce qu’inconsciemment ils sont influencés par tout ce qu’ils ont lu et qu’ils ont appréciés ou qu’ils n’ont pas appréciés, et parce que les mêmes causes produisant les mêmes effets les œuvres ont été réalisées par des êtres humains avec des sentiments humains. C’est pour cela que je vomis les petits cercles intello prout prout qui par élitisme pour ne pas dire suprématisme se sont volontairement coupés du reste de l’humanité, en déclarant que tout ce qui n’est pas orthodoxe c’est de la merde populaire donc populiste à oublier voire à éradiquer…
Ici Ryhalt Galharrow incarne à lui seul la Sainte Trinité :
– Il est Gandalf, et il place ses pions sur l’échiquier pour développer sa stratégie et réaliser son plan. Mais il ne sait que trop bien que chacun de ses pions est un être cher qu’il risque de perdre…
– Il est Aragorn, et il mène les derniers espoirs du monde libre en mission suicide à la Porte Noire pour affronter dans un dernier baroud d’honneur les hordes de Sauron…
– Il est Frodon et il porte sur ses épaules tous les malheurs du monde, souffrant dans sa chair et dans son âme pour la rédemption du monde quitte à passer à côté de la sienne…
Mais il est d’abord et surtout comme les personnages de Roger Zelazny un antihéros prométhéen : devenir un dieu pour combattre les dieux, et leur voler le feu pour le donner aux humains. Ici il s’agit littéralement d’une course au pouvoir entre gros crevards, et parmi les inhumains défenseurs de la Loi et les inhumains partisans du Chaos personne ne voit arriver le nouvel Corwin d’Ambre. Rendre à l’humanité le pouvoir confisqué par les élites autoproclamées : peut-on écrire aujourd’hui quelque chose de politiquement plus engagé ?

Nul n’est parfait donc voilà ce qui pourrait tirer l’ensemble vers les bas :
– Pas fan du retour de « Saroumane ». Le tome 2 lui était consacré, donc tous les rebondissements dont il est l’acteur ne sont qu’un retour de flammes qui mange la laine sur le dos de Bastombe et de la Dame des Vagues…
– la narration a la première personne fait la part belle aux états d’âmes Ryhalt Galharrow, junkie à la dérive qui a de plus en plus de mal à distinguer ses hallucinations de la réalité… Pas mal de répétition dans les situations et les descriptions, et fatalement arrive le passage chiant où le héros est enfermé par ses ennemis pour être confronté à lui-même. Ce passage arrive assez tôt dans le récit, mais je n’arrive pas à savoir si c’est une bonne chose ou une mauvaise chose…
– la narration a la première personne fait la part belle aux états d’âmes Ryhalt Galharrow, en croisade contre les forces obscures de la crevardise pour des raisons personnelles pour ne pas dire intimes… L’humanité est le personnage principal de ce tome pour ne pas dire de la série tout entière, mais cette humanité est étrangement absente de tome. En effet les morts prennent le pas sur les vivants, du coup c’est le lien intergénérationnel qui est finalement mis en avant. Pas sûr que cela plaise aux forces obscures de la crevardise qui ne jurent que par un jeunisme assez obscène qu’on retrouve dans tous les merdias prestitués…

Action, réaction, il y a forcément des éléments tirant l’ensemble vers le haut :
– la quête vers le nord est calqué sur Les Montagnes Hallucinées de l’incontournable H.P. Lovecraft, et on apprend beaucoup de choses sur l’univers, ses tenants, et ses aboutissants
– l’un des thèmes majeurs du tome c’est le manière dont les humains deviennent des « Sans-Noms », donc de la manière dont les inhumains sont devenus des « Rois des Profondeurs »… Ces monstres qui se prennent pour des dieux ont autrefois appartenu au commun des mortels, et chacun d’entre eux méritait une œuvre à part entière tellement leur parcours est tragique. Cela ressemble tellement à Berserk de Kentaro Miura dont à Hellraiser de Clive Barker !
– la rédemption est également un thème clé du tome, et Ryhalt Galharrow a le plus grand mal à comprendre que cette dernière ne concerne pas que les êtres de chair et de sang… C’est ainsi que pendant longtemps il ne parvient pas à communiquer avec la Désolation dont il veut être le champion et l’incarnation. Et la Désolation résultat géographique de l’utilisation d’une arme de destruction massive ayant causé la perte de plusieurs nations, s’avère être elle aussi un être en quête de rédemption…

La lutte des classes est sans fin : il y aura toujours des crevards suprématistes pour se croire au-dessus des autres, et il y aura toujours des crevards collaborationnistes pour leur servir la soupe et leur lécher le cul (et toujours des socio-traîtres voulant devenir calife à la place du calife). Mais Ryhalt Galharrow s’est enfoncé dans les ténèbres pour y briller autant que la Dame Lumineuse, et au fond de la Boîte de Pandore il a retrouvé et délivré l’Espoir. Oui il y a d’autres alternatives : le Phénix a remplacé le corbeau, les Ailes Blanches ont remplacés les Ailes Noires, et la peur a changé de camp… Bon courage à tous les crevards qui voudront s’opposer à eux. Que voilà une fin parfaite, malgré un univers qui ne demandait qu’à être développé encore et encore !

PS : je serais un sacré gougnafier si ne je signalais pas la contribution du camarade Apophis :
https://lecultedapophis.com/2019/08/07/crowfall-ed-mcdonald/

note : 8,5/10

Alfaric

Parce que notre avis n’est pas le seul qui vaille, quelle note mettriez-vous à cet ouvrage ?

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