Innsmouth est une ville bien étrange. Jadis prospère, elle paraît désormais à l’abandon, et les rares habitants semblent tous victimes d’une même affection qui déforme membres et visage. Robert Olmstead, voyageur de passage, cherche à en savoir plus. Le vieux Zadok Allen lui conte alors une sinistre histoire. Quelques générations plus tôt, le capitaine Obed March aurait livré la cité aux griffes d’innommables créatures marines pour construire sa fortune ! Ébranlé, Robert n’a plus qu’une idée en tête : quitter ce terrible endroit. Mais sa curiosité pourrait encore lui coûter cher…
Dans cette deuxième partie, désormais Robert Olmstead en sait beaucoup trop pour son propre bien, et c’est tout naturellement qu’on lui refuse de quitter la ville à la tombée du jour pour mieux s’en débarrasser la nuit. Nous entrons dans le survival et je confesse que la phase indoor est aussi efficace que la phase outdoor. Gou Tanabe développe sur plusieurs dizaines de pages ce que Lovecraft décrivait en quelques pages (notamment Bobby coincé entre les patrouilles d’hybrides dans les rues et la horde des profondeurs qui traverse la mer à partir du Récif du Diable avec un nombre incroyable de doubles planches).
Du coup le côté traque est oppressant à souhait et le côté cavale est haletant à souhait ! Pour ne rien gâcher, le mangaka nous fait partager ce dont se souvient le narrateur en phylactères et ce qu’il imagine en dessins : la narration à la première personne typiquement lovecratienne est donc plus réussie que jamais…
Et puis il y a la chute du récit qui n’était sans doute pas nécessaire pour que celui-ci soit réussi mais qui a néanmoins assuré sa célébrité : en reconstituant l’arbre généalogique plein de dégénérescences biologiques du sorcier maudit Obed Marsh, le narrateur continue son chemin du Côté Obscur en apprenant qu’on peut échapper à tout sauf à soi-même ! Magistral !!!
Iä ! Iä ! Cthulhu fhtagn ! Iä ! Iä ! Iä-R’Lyeh !
La nouvelle illustre à la perfection les phobies de l’auteur puisqu’il insère ses tragédies familiales pleines d’internement à l’asile aux héritages de R.L. Stevenson, H.G. Wells et Lord Dunsany, et qu’au final, il met en avant ces maux personnels et primordiaux que sont la peur des autres et la peur de soi… D’où les interprétations complètement racistes qu’on peut faire de l’œuvre, qui ne doivent pas êtres très éloignées de ses pensées parfois nauséabondes…
Chinois, Canaques et Polynésiens ne sont pas considérés comme de véritables êtres humains, et ça ce n’est que la face émergée de l’iceberg du racialisme et du suprématisme bien-pensant : grosso modo nous avons un bobo WASP qui se rend dans une ville portuaire pour découvrir avec horreur que sa population s’est mélangée avec des êtres qui ne sont pas considérés comme humains pour donner naissance à des hybrides jugés repoussants, mais comme tout ressortissant d’une nation fondée sur l’immigration lui aussi est peu ou prou semblable aux métisses / hybrides qu’il abhorre… Ah ça, on sent bien le zemmouriste nord-américain confronté à ses propres contradictions ! (ce qui invalide complètement les private jokes intellos de Norman Spinrad dans Rêve de fer, mais ceci est une autre histoire)
Évidement le récit a inspiré films, comics et jeux vidéos et je mentionnerai Dagon du vétéran Stuart Gordon qui déplace l’action de la Nouvelle-Angleterre étatsunienne à la Galice espagnole pour une œuvre gore certes, mais qui se termine par un épilogue à la fois terrifiant et fascinant plus démons et merveilles que jamais, ainsi que le survival vidéoludique Call of Cthulhu: Dark Corners of the Earth qui vous permettra d’incarner le fuyard d’Innsmouth pourchassé par toute sa population humaine ou inhumaine…
note : 9/10
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