
C’est l’heure de vérité et un seul d’entre eux verra le jour se lever !
Le survival est indubitablement de qualité, avec des similitudes parfois troublantes avec le Predator de John McTiernan… Mais ne tortillons pas du cul pour chier droit : nous sommes dans l’impeccable adaptation en bande dessinée d’un texte majeur d’un auteur majeur pour les genres de l’imaginaire, donc c’est jour de fête et la vie est belle !!!
– Nous avons tout laissé derrière nous pour venir ici. Mais nous ne sommes qu’un bout de carte supplémentaire pour les seigneurs d’Aquilonie. Et nous perdrons tout, à nouveau… Parce qu’ils ne nous défendent pas.
* Il y a tout un côté lovecraftien avec Jhebbal Sag la divinité anti-spéciste issue d’une lointaine époque où l’homme était un animal comme les autres, et les frères maudits qui nous refont le coup de L’Abomination de Dunwich…
* Il y a tout un côté problem solver : Conan est un homme d’action qui trouve des solutions pour déloquer des situations, mais parfois toute la force du monde ne sert à rien (remember Gilgamesh, Héraclès, Achille, Siegfried)… Nous entrons à la fois dans le domaine de la tragédie antique puisqu’on se bat contre un destin qui à coup sûr triomphera, mais aussi dans le domaine de la lutte des classes. Le texte d’origine a été écrit durant la Grande Dépression et entre des élites démissionnaires et le peuple condamné à la misère l’auteur a fait son choix : les colons ne ressentent pas de haine envers les Pictes qui ne font que ce qu’ils auraient fait à leur place, à savoir défendre leurs terres ancestrales jusqu’à la victoire ou la mort. Non, les colons haïssent les seigneurs d’Aquilonie qui leur ont tout prit, qui les ont obligé à partir sur la Frontière refaire leur vie, qui les ont opposés à des indigènes qui ne demandaient rien à personne, et ils vont tout perdre à nouveaux parce ceux-ci-ci en a rien à faire en l’absence de fructueuses marges arrières : que la peste et tous les fléaux possible soient sur eux… OMG quelle relecture cynique mais révolutionnaire de l’Histoire des États-Unis d’Amérique ! Les survivants de Conajohara se souviendront jusqu’à leur dernier souffle qu’aux heures les plus noires de leur histoire Conan le hors-là-loi était là pour les défendre et pas leur roi : ils seront ses premiers partisans quand viendra l’heure de son coup d’État, mais c’est le Grand Soir et ceci une autre histoire ! (quand j’avais écrit tout ceci, je n’avais aucune idée que cela s’appliquerait à la lettre à notre pays avec la crise des Gilets Jaunes traitée comme la Peste Brune par le gouvernement La Régression En Marche tout acquis aux forces obscures de la crevardise et dont la véritable devise semble toujours avoir été Ash nazg durbatulûk, ash nazg gimbatul, Ash nazg thrakatulûk agh burzum-ishi krimpatul)
* Il y a tout un côté western médiéval (un héritage qu’exploitera à fond le maître de l’heroic fantasy anglais David Gemmell), car on sent bien que l’auteur a transposé un récit western en récit fantasy !Adios les décors exotiques de villes perdues, de civilisations décadentes et pourrissantes, de coupoles dorées, de palais de marbre, de jeunes danseuses vêtues de soie… Bienvenus forêts et rivières, cabanes de rondins, avant-postes fortifiés, colons aux vêtements en peau de daim et hommes de tribus au corps couverts de peintures. Nous sommes sur la Frontière, cette ligne imaginaire séparant territoires sauvages et terres civilisés qui a été si bien mise en scène dans les westerns hollywoodiens. En ce sens le texte est iconoclaste dans la mesure où au bout du bout les WASP se prennent une raclée monumentale par des barbares basanés, mais le texte est encore plus intéressant par sa configuration : l’invasion barbare est vue du point de vue de Conan, qui ne sait que trop bien ce qui va se passer car c’est du côté des envahisseurs qu’il l’a déjà vécue, et Balthus qui ne sait en rien ce qui va se passer et qui officie ici en tant que candide à qui il faut tout expliquer… Ici ce n’est pas Conan le Gary Stu de l’auteur texan R.E. Howard mais bel et bien Balthus : il est bien trop civilisé pour survivre dans la barbarie sur le sentier de la guerre, du coup l’auteur accompagne sa création pour combattre à ses côtés en sachant qu’il ne pourra jamais l’égaler… C’est humainement et psychologiquement fascinant !
Mieux colons civilisés et indigènes barbares sont mis sur un strict pied d’égalité, tous victimes des homines crevarices qui veulent les amener et dans les ténèbres les lier : il n’y a aucune différence entre le chaman fou et le roi fainéant, de la même manière qu’il n’y a aucune différence entre un Oussama ben Laden et un Donald Trump. A une époque où règnent en Occident l’impérialisme et le colonialisme, le racisme et le suprématisme, R.E. Howard dépeint sans mépris ni indifférence des indigènes effrayés qui essayent de perpétuer un mode de vie et de conserver un pays qu’ils aiment profondément, et des colons désespérés car condamnés à s’expatrier, mais fiers des petits rien qui font la civilisation et qui valent le coup de se battre pour eux… On retombe sur le « diviser pour régner » si cher aux classes dirigeantes qu’on aimerait bien voir disparaître avant qu’elles n’amènent une nouvelle fois l’enfer sur terre : R.E. Howard s’est sacrément fighté avec les intellectuels de son époque admirateurs du national-socialisme, et mine de rien il défend avant l’heure les thèses sur les peuples premiers de Claude Lévi-Strauss ! (ceci était un message à caractère informatif pour tous les commissaires littéraires de mes couilles qui accusent l’auteur d’avoir été crypto-nazi : vous n’avez rien compris, donc vos raisonnement sont complètement bidons… mais qu’attendre de gens se réclamant d’un élitisme sans élites à la con ?)
Patrice Louinet qui signe une postface de 3 pages veille au grain, donc c’est sans aucune surprise que les très bons Mathieu Gabella et Anthony Jean livrent un travail d’adaptation soigné et de qualité ! (Ce dernier davantage inspiré par les univers comics super-héroïques que par les univers fantasy médiévaux-fantastiques est ici particulièrement en forme, la frange étant remplacée par le crête iroquoise dans une ambiance plus western que jamais !) Toutes les scènes clés et les punchlines cultes sont là et magnifiées par le travail des auteurs, et on peut juste regretté que le sacro-saint format de 48 pages ne permettent pas d’exploité pleinement toutes les subtilités du récit d’origine où ATTENTION SPOILERS tout est vu et raconté du point du vue de Balthus qui connaît une heure de gloire qui ici n’est pas montré pour servir de chute au récit : dans la novella Conan affecté par le sort de Balthus et Slasher repart en territoire picte pour venger leurs morts, alors que dans la BD il ne fait que prendre acte de leurs trépas avant de boire à leur mémoire FIN SPOILERS
Pour ne rien gâcher 16 pages d’illustrations bonus donc enjoy !
note : 8,5/10
Alfaric
Parce que notre avis n’est pas le seul qui vaille, quelle note mettriez-vous à cet ouvrage ?
[ratingwidget post_id=7936]