S. Andrew Swann
d’après Lynn Okamoto

La Louve et la Croix

Roman, fantastique / histoire
Publié en VF le 27 août 2010 chez Bragelonne
Publié en VO le 25 août 2009 chez Spectra Books (« Wolfbreed »)

An de grâce 1221. Au cœur des sombres forêts des Carpates, frère Semyon von Kassel, chevalier de l’ordre de l’Hôpital Sainte-Marie-des-Allemands de Jérusalem, court comme s’il avait le diable aux trousses. Une bête monstrueuse, mi-homme mi-loup, a décimé ses compagnons. Grâce à lui, l’Église va en faire une arme à son service: les chevaliers Teutoniques recueillent et dressent clandestinement ces terrifiantes créatures pour terroriser les païens. Or l’un de ces loups-garous, une fille nommée Lilly, réussit à s’échapper et trouve refuge auprès d’un jeune paysan qui fera tout pour la protéger des Templiers… mais aussi d’elle-même. Car la sauvagerie du meurtre est la seule vie que Lilly ait jamais connue et si le jeune homme ne parvient pas à percer les ténèbres de son âme, il sera sa prochaine victime…

L’auteur ne se cache pas une seule seconde qu’il effectue un remake du manga Elfen Lied de Lynn Okamoto :
– l’Ordre des Chevaliers Teutoniques remplace le SAT
– les loups-garous meurtriers remplacent les mutants assassins
– le jeune manchot prussien remplace le jeune collégien japonais
On pousse même le vice jusqu’à reprendre la blessure à la tête lors de l’évasion… Tout est transposé au Moyen-Äge sur les rive orientales de la Mer Baltique, où les croisades du nord font rage entre les chevaliers allemand et les habitants prusans au nom du Christ Blanc (on voit bien l’effort de documentation). C’est aux frontières de la chrétienté que l’arme vivante des templiers pour éradiquer les hérésies païennes décide de tenter le tout pour le tout : la liberté, ou la mort !

La Belle est la Bête !
Lilly est une adolescente douce et fragile qui ne parvient pas à aligner trois mots d’affilée… Lilly est une machine à tuer rusée, cruelle et impitoyable qui parle plusieurs langues… Lilly et Lilly partagent le même corps car Lilly est victime de troubles dissociatifs de la personnalité après toutes les horreurs qu’elle a subies et qu’elle a infligées… Mais surtout, Lilly n’est pas humaine !
Pour Lilly, Udolf est le meilleur souvenir de sa vie. Pour Udolf, Lilly est le meilleur souvenir de sa vie d’avant, qu’il a volontairement oublié pour aller de l’avant… C’est par hasard qu’ils se retrouvent à l’endroit où ils se sont rencontrés… Mais ce qu’Udolf ne sait pas, c’est la jolie jeune fille qu’il a recueillie tel un oiseau tombé du nid, et qu’il va protéger de ses ennemis, est celle qui a été la cause de tous ses malheurs. Le suspens est au rendez-vous !
Les Templiers vont-ils retrouver Lilly ?
Udolf et sa famille vont-ils découvrir la véritable nature de Lilly ?
Lilly, paumée de la vie, qui confond passé et présent, rêve et réalité, va-t-elle basculer ?

Cela ferait un bon film, et je m’étonne que personne n’y ait pensé… Cela ferait un bel héritier des sagas Hurlements et Ginger Snaps dédiés à nos amis lycanthropes. Et on a presque un Psychose médiéval et fantastique : à chaque tic corporel ou facial, celle qui entend des voix dans sa tête peut dévoiler sa bestialité et sa sauvagerie ! Car les scènes gores sont assez nombreuses, surtout au début et à la fin du roman… (D’ailleurs le début est aussi malin qu’efficace : la narration glisse d’un personnage à l’autre au fur et à mesure des victimes pour nous montrer toute l’horreur du carnage réalisé)

Peut-être même un peu trop grimdark pour bien par moment : 
ATTENTION SPOILERS déjà que les sévices subis par les enfants-loups de la part de l’inquisiteur pédophile sont difficilement soutenables, ce n’était sans doute pas la peine de s’attarder aussi crûment sur le nouveau viol de Lilly en direct-live FIN SPOILERS

Il venait de lui offrir une chose qu’elle n’aurait jamais osé lui demander : l’Espoir.

Beaucoup de choses intéressantes dans ce manga, euh pardon de ce roman :
– la relation maître /esclave entre Lilly et Ehrard, l’un obéissant à Dieu et l’autre à son Dieu…
– la thématique de l’occupation,
ATTENTION SPOILERS entre ceux qui collaborent (Günter Sejod), ceux qui résistent (Langkut) et ceux qui veulent tourner la page et qui se contentent de continuer à vivre (Gedim). L’évêque que Cecilio étant venu se faire mousser aux yeux de sa hiérarchie, décide d’éradiquer une insurrection qui n’existe que dans son plan de carrière et qu’il va donc inventer de toute pièces à grands coups de sermons intégristes… Sauf qu’au final, ses ambitions de dirigeant égoïste (oui je sais, gros pléonasme) vont déclencher une véritable insurrection… FIN SPOILERS

– les thématiques de l’acculturation, de la déculturation de la contre-acculturation,
ATTENTION SPOILERS les habitants de l’Est de la Mer Baltique sont désormais coincés entre deux mondes, car ils peuvent plus revenir en arrière et leurs traditions et ne peuvent pas aller de l’avant car les anciens chrétiens leurs reprocheront toujours de ne pas assez aussi chrétien qu’eux, et les traiterons toute leur vie d’être des chrétiens de seconde zone, voire les suspecterons d’être des crypto-hérétiques n’ayant pas totalement abandonné leurs coutumes païennes (refrain connu, on trouve le même discours entre nobles et bourgeois au XVIIIe, entre bourgeois et prolétaires au XIXe, entre colonisateurs et colonisés puis entre natifs et immigré au XXe… Les exemples ne manquent pas : plus les choses changent, et plus elles restent les mêmes). J’en suis même venu à croire que la mixophobie est la mère de tous les maux : refuser qu’autrui soit son égal, c’est refuser l’égalité et ouvrir la porte au suprématisme, dédaigner et mépriser autrui, c’est refuser la fraternité et ouvrir la porte au racisme. Et puis après, avec la peur et l’ignorance savamment entre par ceux que cela arrange, c’est la porte ouverte à l’intégrisme voire au fascisme, donc à la haine et à la violence… FIN SPOILERS

Les méchants sont punis par où ils ont péché puisque Lilly, formée pour être le Fléau de Dieu envers les païens devient bon gré mal gré l’instrument du Châtiment du Dieu de la mort Pikuolis contre les Chrétiens… On pourrait croire que la vision est manichéenne, et elle aurait droit de l’être avec les témoignages concordants sur la brutalité et la rapacité des Chevaliers teutoniques (mentalité de merde qu’on retrouvera chez les aristocrates prussiens d’abord, chez les bureaucrates nazis ensuite : Deutschland über alles !), mais non en fait car à côté des crevards il y a ceux qui se contentent d’être de là mais aussi ceux qui se demandent ce qu’ils font là.
Et c’est bien vu d’amener un peu de nuance à son propos, le personnage principal refusant d’ailleurs d’endosser le statut de héros. Mais au final, c’est surtout une histoire émouvante, moins une histoire d’amour (un Belle et la Bête inversé) qu’un récit sur le pardon et sur la rédemption. Car au bout du compte, ce sont des païens abandonnés de Dieu qui ici mettent le mieux en pratique les enseignements du Christ.

 

Après d’un strict point de vue littéraire c’est parfois un peu inégal car cela manque un peu de maturité, mais qu’importe quand le résultat est intéressant et plaisant et que l’auteur s’est posé les poses questions : Quelle histoire je veux raconter ? Comment la raconter ? Comment la rendre accessible à mes futurs lecteurs ? Et j’ai envie d’encourager un auteur américain de SFFF qui pour une fois faire tenir un récit complet de moins de 500 pages là où beaucoup de ses confrères et consœurs tirent à ligne avec des machinlogies qui n’en finissent plus. Il existe toutefois une suite dans le même univers, se déroulant dans la Pologne médiévale. Malheureusement, elle n’est pas traduite… Quelle bonne idée ce serait de la part des éditions Bragelonne / Milady de lui réserver une sortie en poche parmi les multiples nouveautés bit-lit mensuelles !

note : 7,5/10

Alfaric

Parce que notre avis n’est pas le seul qui vaille, quelle note mettriez-vous à cet ouvrage ?

 
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