Philippe Ward

Le Maître du Nil

Roman, uchronie / fantastique
Publié le 01 janvier 2019 chez Rivière Blanche

À onze ans, al-Hakim, devient calife d’al-Qahira. Son règne se montre à l’image de son caractère : humble autant que versatile et aussi sensible que meurtrier. Au fur et à mesure, le jeune garçon va se dégager de l’influence de ses vizirs, quitte à les assassiner. Grâce à Amr, le djinn qui veille sur sa famille depuis toujours et qui forge son esprit comme une arme, le calife va apprendre à manipuler son peuple et à piéger ses ennemis pour en faire autant d’exemples marquants. Pourtant, les luttes intestines vont toujours bon train, et, dans l’ombre, au grand jeu du pouvoir, tous les coups restent permis. Au milieu des complots, des créatures et des divinités qui font tout pour survivre, al-Hakim continue de grandir. Mais quel est son destin ? Mourir ou devenir un dieu ?

sCela faisant longtemps que je voulait découvrir les univers de Philippe Ward. C’est attiré par l’illustration de couverture de Xavier Colette qui rompt avec la charte graphique habituel de l’éditeur Rivière Blanche je n’ai pas été déçu mais je ne peux pas dire non plus que j’ai été plus emballé que cela (pour des raisons internes et des raisons externes). Néanmoins cela m’a donné envie de poursuivre avec son imaginaire, et pour pour c’est peut-être le plus important.

Avec Le Maître du Nil, nous somme en Égypte au début du XIe siècle. Le monde arabo-musulman est divisé en califats rivaux (avec l’Empire Byzantin en embuscade), et le Califat Fatimide qui s’est délocalisé du Maghreb vers Le Caire et sa richesse commerciale et la Vallée du Nil et sa richesse agricole a le vent en poupe. Nous assistons à une guerre froide entre le califat abbasside de Bagdad et le califat fatimide qui n’osent pas se lancer dans les grandes manœuvres (de peur que le troisième larron byzantin ne tire les marrons du feu), qui se manifeste principalement par une guerre de l’ombre entre les éminence grises deux camps….

Ce dernier point qui est à la fois un défaut et une qualité. L’auteur a fait le choix de l’uchronie fantastique, et dans ce cas généralement on construit une « Masquerade » ou une « Histoire Secrète ». Sauf qu’ici il ne fait ni l’un ni l’autre, du coup malgré les dieux, les démons et la magie j’ai eu l’impression qu’on aurait pu raconter la même histoire sans fantastique… L’essentiel des péripéties qui font avancer sont basées sur l’affrontement entre Amr qui soutient la dynastie Fatimide et Iblis qui contrôle la dynastie Abasside, et ils rejouent le drame de Caïn et Abel. Mais Amr, Iblis et leurs subordonnés sont des djinns, tout le monde connaît leur existence, personne ne s’étonne de leur longévité, personne ne s’étonne de leurs pouvoirs surnaturels, et personne ne s’étonne qu’ils occupent des postes publiques dans la société. Si les djinns qui maîtrisent la magie avaient été remplacés par des super-espions, est-ce que le récit aurait été très différent ?

Côté djinns aussi il y a peut-être un souci… Ils étaient adorés comme des dieux par les tribus du désert, puis le Prophète a uni la Péninsule Arabique sous la bannière de l’Islam. Ils sont maintenant considérés comme des démons ou comme des sorciers ils sont pris en tenaille entre les anciens dieux polythéistes qui luttent pour leur survie et les nouveaux monothéistes qui règnent sur le monde (et il y aussi avec le personnage de la guerrière Lamia le peuple maudit des Stryges / Vampires, enfants de Lilith). On aurait pu avoir un In Nomine Satanis / Magna Veritas médiéval en terre d’Islam (les rôlistes savent), mais comme Allah, Dieu et Yahvé brillent par leur absence ce n’était pas possible (ah si, il y a Fatima la Radieuse qui apparaît à un moment, mais je ne sais à quoi elle a servi dans le récit). L’idée d’Amr (qui s’allie à la déesse égyptienne Isis) comme celle d’Iblis (qui utilise le dieu mésopotamien Marduk) est d’unifier les différentes branches de l’Islam établir la domination des djinns sur l’humanité à travers un souverain fantoche.

Amr a fait le choix d’utiliser le calife al-Hakim pour parvenir à ses fins. Et là nous entrons dans la partie historique du sujet. Al-Hakim fait partie de la longue série des souverains atteint de dinguerie : il y a les schizophrènes, les psychotiques, les sociopathes, les mégalomanes, les paranoïaques, les illuminés, les immatures… J’aimerais pouvoir le qualifier de Néron musulman sauf que Néron ne fait pas partie de cette liste. Alors certes les sources sont partielles et partiales entre les panégyriques des Ismaéliens et les pamphlets des Sunnites, mais voilà ce qu’on sait :
– ses excentricités soudaines et ses revirements tous aussi soudains ont défrayé les chroniques (j’interdis l’alcool mais je fume du haschich H24, je n’aime pas les femmes forcément impures donc je ne veux pas les voir donc elle doivent rester cloîtrées à la maison, j’ai peur des chien donc il faut tuer tous les chiens, j’ai perdu au jeu d’échec donc j’interdis tous les jeux d’échec, je vis la nuit donc tout le monde doit dormir le jour)…
– il a régné par le terreur, avec des généraux incompétents pour éviter les rébellions, avec de chef de la police rapidement renouvelables pour éviter les révolutions de palais, et avec des excès d’humilité assez grotesques
– à l’image de Vlad Tepes III dit l’Empaleur sa générosité n’avait d’égale que sa cruauté
– après avoir multiplier les persécutions religieuses il a fondé sa propre religion professant sa divinité
– il a disparu lors d’une promenade et on n’a jamais retrouvé son corps… Cui bono ? Sa propre sœur Sitt !

Dans le récit al-Hakim veut devenir Dieu, et je n’ai rien compris à son rubis magique, aux Sceaux de Salomon et à son disciple qui serait son double. J’ai bien compris qu’on reprend l’idée développée par Fritz Leiber dans le Cycle des Épées : les dieux sont innombrables et plus il a d’adorateur et plus il est puissant. Donc al-Hakim veut qu’on l’adore pour devenir un dieu, mais comme il aussi frappadingue que Caligula il ne peux pas comprendre qu’avec pour seule maxime « qu’ils me haïssent pourvu qu’il me craignent » on finit forcément avec une ou plusieurs lames à travers du corps…

Les dieux ont besoin des croyants pour vivre, les tiens comme les miens. Ils ont besoin de prière pour posséder la force. Ils ont besoin des humains. Sans les humains, ils ne seraient rien.

Amr veut consolider sa base du Caire avant de partir à l’assaut de Bagdad, et Iblis passe sont temps à faire des allers-retours entre Bagdad et Le Caire pour foutrela merde dans le capitale fatimide (intrigues, complots, rébellion, révolution, pièges magiques et guerre psychologique). Pour la suite allons faire un tour en ZONE SPOILERS !
Iblis utilise une vieille méthode du pouvoir qui est de réaliser des représailles provoquant des attentats qui justifie à posteriori les représailles, quitte à organiser lui-même des attentats qui n’auraient jamais eu lieu sans lieu pour justifier des représailles encore plus violentes. Destitué de Bagdad par son frère ci il joue dans un camp et dans un autre pour jouer sa propre partition et prendre sa place aux côté du calife fou al-Hakim : d’un côté il fait éditer des libelles se moquant des crises de nerf grotesques du calife fou, et d’un autre côté il conseille le calife fou d’agir comme le Dieu de l’Ancien Testament et passer ses nerfs sur le peuple qui lui manque de respect. Amr finit pas lâcher son poulain et tenter sa chance à Byzance parce qu’il le juge fou à lier, mais on se demande comment il a un jour pu croire en son potentiel… Al-Hakim a toujours été fou à lier, c’est le sale gosse qui s’amuse à mettre des coups de pieds dans les fourmilières et à arracher pattes, ailes et antennes des insectes quand il n’amuse pas tourmenter et à torturer les petits animaux : on ne lui a jamais dit non, il n’a jamais grandi, il croit toujours qu’il est le centre de l’univers et que la réalité doit plier à ses caprices d’enfant pourri gâté. Donc c’est tout naturellement qu’une fois adulte c’est en bon sociopathe qu’il se met à tourmenter et à torturer ses sujets pour montrer que c’est lui le patron et qu’il a droit de vie et de mort sur eux… Finalement un personnage ambigu aurait été plus intéressant…

 

J’ai beaucoup apprécié l’effort de Philippe Ward de s’être attaquer à une époque, un espace et des personnages méconnus, et d’avoir mis de côté l’ethnocentrisme de notre Occident persuadé d’être l’alpha et l’oméga de l’Histoire de l’humanité. J’ai bien aimé le style de l’auteur, et il y a un bon équilibre entre action, dialogue et description même s’il est clairement plus à l’aise dans les intrigues et les complots que dans les bagarres et les batailles (la guerre est toujours traité hors-champ, c’est frustrant).

Il y a 2 ou 3 trucs à reconfigurer comme le Temple de Jérusalem considéré comme le plus grand temple du monde ou les croisés qui sont évoqués un demi-siècle avant la première croisade, mais franchement c’est quantité négligeable…

Car pour terminer il faut bien évoquer les raisons externes qui ont fait que j’ai eu du mal à me prendre au jeu :
– la mise en page peu aérée n’est pas agréable, et je ne comprends pas pourquoi on a utilisé une taille de police aussi petite alors qu’on obtient 5 centimètres de haut et de pied de page
– un nombre édifiant de coquilles ! Je n’avais pas cela depuis bien longtemps déjà, avec des groupes de mots qui oublient les espaces, les règles de ponctuations ou le fait qu’on ne peut pas imprimer des caractères les uns sur les autres
J’ai beaucoup de respect pour Rivière Blanche qui veut faire vivre l’héritage de la SFFF vintage abandonné par Fleuve Noir, mais si c’est pour imprimer en Angleterre pour faire des gains marginaux, vivre sous droit californien pour faire de l’optimisation fiscale et ne pas effectuer de relecture au point que certains passages sont à peine lisibles il faut revoir la copie comme on dit…

note : 7/10

Alfaric

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