Stefan Wul

Retour à « 0 »

Roman, science-fiction
Publié en 1956 chez Fleuve Noir

Le gouvernement terrien a chargé le savant Jâ Benal d’espionner les habitants de la Lune qui projettent une attaque de la Terre. Après avoir aluni sur le Mont Circé, Jâ affronte les gôrs, des monstres hideux qui paralysent la volonté de leurs adversaires. Parvenant par la ruse à leur échapper, il atteint la vallée des cendres, mais se retrouve prisonnier dans une grotte envahie par des flots de lave brûlante… Réussira-t-il à s’extraire de cet enfer pour sauver les Terriens ?​

On sent qu’il s’agit du premier ouvrage de l’auteur, daté de 1956 qui plus est… C’est un opus moyen et inégal, mais bon sang ne saurait mentir quand on dispose d’autant d’imagination que lui : on voit déjà apparaître, entre autres choses, les différences d’échelles d’Oms en série, l’Afrique postcoloniale de La Peur géante et le pilote baroudeur Massir du Temple du passé… On retrouve donc les ingrédients préférés de l’auteur dès sa première œuvre : poésie, sens de l’aventure, exotisme, émotion.

Dans Retour à « 0 », on est dans un space-opera lunaire qui puise largement dans le roman d’espionnage, mais dans le roman d’espionnage de gare à plusieurs étapes du roman.
La lune est une prison-dépotoir de tout ce qui est indésirable sur Terre… concept repris par Cosmos 1999, La Trilogie de Lune de Johan Heliot, Sept Prisonniers de Mathieu Gabella et cie. C’est un vieux classique de la Science-Fiction et c’est presque New York 1997 / Los Angeles 2013 avant l’heure… (Ah ça, l’auteur possède un style tellement visuel qu’on imagine tout de suite ce que cela pourrait donner à l’écran !)

La Haute Cour Mondiale organise un faux coup monté contre le scientifique Jâ Benal, dans l’optique de l’infiltrer dans le bagne lunaire comme espion-saboteur dans un remake de la guerre des mondes. Car on sent bien l’ambiance très Guerre Froide qu’il règne entre la Terre qui craint une invasion des forces lunaire jugées technologiquement supérieures, et la Lune qui craint une invasion des forces terriennes jugées technologiquement supérieures (et dire que tout cela a été écrit 1 an avant le lancement de Spoutnik)…

Car le régime lunaire a des faux airs de dictature soviétique, surtout avec l’Ancêtre, son Premier Citoyen qui avec son autoritarisme, sa paranoïa, son culte de la personnalité et son révisionnisme historique ressemble furieusement un alter égo de Joseph Staline le boucher rouge ! Toutefois les divergences sautent vite aux yeux : le quasi asservissement des femmes qui n’ont pas droit à l’éducation et l’idéologie de la survie du plus apte ne sont pas très coco friendly…

[Jâ Benal à propos de Kam et du Premier Secrétaire lunaire] Ce vieillard de cent cinquante-deux ans m’a paru tout a fait sage et ennemi de la violence. J’ai l’impression que la propagande officielle n’a pas de prise sur lui. Il l’a vue naître, cette propagande, il n’y croît guère. C’est un des premiers compagnons de l’Ancêtre. Il l’a connu à l’époque héroïque où celui-ci n’était pas encore nimbé de son prestige. De même que nous, il doit le juger comme une forte personnalité certes, mais aveuglé par le ressentiment et, disons le mot : fou à lier.

Une fois les enjeux exposés, notre héros a fort à faire : crash sur la lune, confrontation avec les créatures indigènes aux pouvoirs psioniques, traversée d’une plaine volcanique recouverte de coulées de lave. Puis intégration au système communiste lunaire en mode double-jeu, collectes de renseignements, opérations de désinformation, incitations à la sédition, sabotages planifiés ou effectués…
Cool l’idée des magnétophones miniaturisés qui diffuse un message de liberté à la manière de RFE (Radio Free Europe) ! Cool l’idée des bombes dupliquées par imprimante 3D puis miniaturisées et disséminées aux points clés du régime !

Stefan Wul se moque gentiment du roman d’espionnage old school, mais volontairement ou non il en reprend les clichés (comme la pépé blonde qui devait l’espionner mais qui au final trahit ses maîtres parce que tombée éperdument amoureuse de lui). Malgré tous les airs de déjà vus, deux passages m’ont vachement plu :
– l’opération chirurgicale réalisée par des commandos médicaux miniaturisés, une scène qui serra plagié par Richard Fleisher dans son bon film de SF vintage intitulé L’Odyssée fantastique (film qui sera novélisé par Isaac Asimov, excusez du peu !)
– la cavale en mode miniature, la petitesse des évadés devenant un avantage ou un handicap en fonction des obstacles rencontrés et du temps écoulés puisque qu’il grandisse tout au long de leur fuite pour retrouver leur taille initiale (marrant qu’en cette même année, Richard Matheson sorte un livre entier sur le même thème : The Shrinking Man / L’Homme qui rétrécit)

Le dénouement fait basculer l’histoire du roman d’espionnage au roman catastrophe…
ATTENTION SPOILERS L’Ancêtre, être bouffi d’orgueil, persuadé que la révolte de la population contre son régime est le prélude à une imminente invasion terrienne, décide d’enclencher la Destruction Mutuelle Assurée pour donner corps à la maxime « après moi le déluge »… Après avoir programmé la mise ne orbite de son mausolée spatiale dédié à sa gloire éternel, il fait sauter la lune pour que les retombées éradiquent toute trace de civilisation de la surface de la terre. Jâ Benal et Nira Slid, bloqués à la taille de 10 centimètres, se trouvent être les derniers représentants de l’humanité et décident de repartir de zéro en repeuplant la Terre à partir de Tahiti nouveau Jardin d’Eden. FIN SPOILERS
Arrivés là, on touche du doigt la SF poétique à la René Barjavel…

 

Le livre, court, un peu désuet et volontiers naïf, a été requalifié jeunesse par les éditeurs. Comment un jeune public des années 2000 peut-il comprendre les nombreux liens que fait le roman avec les relations internationales de la fin des années 1950 et avec le paysage littéraire des romans d’espionnage à la fin des années 1950 ? Quézako quoi !!!

note : 4/10

Alfaric

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