Yu Sasuga (scénario)
& Ken-ichi Tachibana (dessin)

Terra Formars,
tome 01

Manga, science-fiction (22 volumes, série toujours en cours)
Publié en VF le 30 janvier 2013 chez Kazé
Publié en VO à partir du 13 janvier 2011 chez Miracle Jump (2011) puis chez Weekly Young Jump (depuis 2012)

La population terrienne en constante augmentation épuise toujours plus les ressources de sa planète. Seule solution pour éviter l’extinction : faire proliférer sur Mars l’unique forme de vie capable d’endurer son environnement et de le rendre habitable… le cafard. An 2599 : La terraformation entre dans sa phase finale et les rampants doivent maintenant être exterminés. À bord du vaisseau spatial “Bugs 2″, quinze jeunes gens venus des quatre coins du globe, et génétiquement modifiés en vue de cette tâche, s’apprêtent à atterrir sur Mars. Ils ignorent encore tout du sort de leurs prédécesseurs disparus en tentant de remplir la même mission… Et si la théorie de l’évolution ne s’appliquait pas qu’à l’Homme ?

On a dans Terra Formars quelques tirades savoureuse genre « on n’est pas dans un manga… », « on n’est pas dans un comic… », « les super-héros avec des super-pouvoirs, ça n’existe pas ! »… Alors qu’en fait, c’est carrément l’inverse : les auteurs piochent dans l’héritage du mangaka culte Shotaro Ishinomori, qui avait décidé dans les années 1960/1970 de contrer les comics américains à lui tout seul (et il le fit vachement bien, posant avec Jinzô Toriumi les bases des séries live tokusatsu, aujourd’hui interdites d’exportation par les méchants marketeux de la Disney Corporation… VDM)
Kamen Rider dans l’Espâce ? C’est sûr ! Cyborg 009 dans l’Espâce ? Évidemment ! Kamen Rider, c’était (et c’est encore, car les légendes ne meurent jamais !) le superhéros insectoïde qui défendait la veuve et l’orphelin en combattant les supervilains insectoïdes ennemis du genre humain… Cyborg 009, c’était (et c’est encore, car les légendes ne meurent jamais !) un groupe d’humains venant de tous les pays transformés en machines de guerre qui se rebellaient contre leurs créateurs pour devenir les bienfaiteurs du genre humain… Bref, c’est le chaînon manquant entre l’optimisme d’Ozamu Tesuka et le pessimisme de Go Nagai, mais aussi et surtout un kif d’enfer mélangeant les grands moment d’X-Men, top comic des années 1980, et d’Hokuto no Ken, top manga des années 1980 !

J’ai eu des réminiscences du manga Gunnm de Yukito Kishiro, avec cette association entre sciences et arts-martiaux et cette humanité livrée aux caprices d’une élite persuadée d’appartenir à une race supérieur prédestinée à l’immortalité et à l’éternité ; j’ai eu des réminiscences du manga Eden d’Hiroki Endo avec sa pandémie aux ravages effrayant et ses adolescents livrés en pâture aux turpitudes de l’enfer ultralibéral / ultraféodal mis en place par les organisations internationales ; j’ai eu des réminiscences du manga Gantz d’Hiroya Oku qui faisait cohabiter relationship drama soigné et ultraviolence absurde certes, mais graphiquement travaillée ; j’ai eu des réminiscences du manga L’Attaque des titans d’Hajime Isayama, avec cette dystopie où au grand dam des intéressés des générations entières sont envoyées au casse-pipe au nom d’un conflit artificiel qui n’a d’autre fonction que d’assure le maintien au pouvoir d’une élite corrompue….
Ah finis sont les bons sentiments de la SF Vintage pleine d’optimisme et d’espérance : fiasco du leader du monde libre au Vietnam, Bhopal, Exxon Valdez, Tchernobyl, SIDA, Monsanto, fanatismes, intégrismes, terrorismes, 11/09 et sa puante récupération idéologique, Chicago Boys et leurs expérience de Milgram à l’échelle mondiale et 7 krachs boursiers dont les populations payent toujours les pots cassés (bientôt le 8e : accrochez vos ceintures !)… L’homme est devenu un loup pour l’homme avec la bénédiction pour ne pas dire la complicité de ceux qui prétendaient le guider vers un avenir radieux. Il fut un temps où tout le monde pensait que demain serait meilleur qu’aujourd’hui : ce temps-là est bien loin derrière nous, et cela se sent dans Terra Formars car on ne perd pas une occasion de cracher sur la ploutocratie, les uber-richs et l’Argent-Roi…

Mais au final de quoi ça parle ce manga ?
Condamnée par le cancer productiviste, l’humanité s’est lancée dans la terraformation de la planète Mars sur plusieurs siècles (cf. la trilogie martienne de Kim Stanley Robinson ou le film Red Planet d’Antony Hoffman). Sauf qu’au moment de vérifier les résultats de cette gigantesque entreprise au tournant des 26e et 27e siècles, l’humanité s’aperçoit avec horreur que la place est déjà prise par une espèce d’australopithèques insectoïdes. Pour reprendre ce qu’elle considère comme son bien, l’U-Nasa pratique des expériences au faible taux de réussite sur des paumés issus des basses classes de la société pour fabriquer des hommes-insectes capables d’affronter les insectes-hommes dans l’environnement martien.
Mission « BUGS-1 », taux de mortalité : 100%
Mission « BUGS-2 », taux de mortalité : 87%
Mission « ANNEX 1 », taux de mortalité : calcul en cours…Mais ça meurt à tous les chapitres ou presque !!!
Toutefois qui est vraiment l’ennemi ? Ces cafards dont l’évolution biologique et technologique est trop rapide pour être naturelle ? Ces grandes puissances mondiales qui souhaitent s’emparer des découvertes biotechnologiques de leurs rivaux ? La ploutocratie mondialisée qui utilisent les personnages prolétaires comme cobayes humains dans une course aux armements qui ne dit pas son nom ? Et il y a aussi la vraie / fausse piste de la panspermie avec la civilisation de Rahab et les pyramides de Mars…

Le scénario de Yu Sasuga se donne la peine de donner à chaque protagoniste du drame, et ce quelle que soit son espérance de vie, une personnalité et un passé, avec ses rêves et ses désillusions. C’est assez sadique d’ailleurs car on s’attache à plein de gens qui vont tous crever salement, et avec tout le pathos nécessaire pour bien nous faire pleurer… Le manga est riche en phylactères, car une voix-off très présente nous expliquent les mutations, les caractéristiques physiques, physiologique et martiales des antagonistes. De plus la narration fait alterner récit au présent, flashbacks consacrés au passé cabossé des personnages et discussions des officiers sur les enjeux de la mission. D’habitude je suis blasé du procédé, mais là cela a super bien marché sur moi…

Les dessins de Ken-Ichi Tachibana sont cool et fun, tant pour le charadesign que pour les décors souvent fort joliment travaillés, avec une mise en scène de la violence très réussie (que les allergiques à la violence jugeront grotesque). On pourrait regretter un tramage informatique un peu artificiel, et quelques personnages clonés mais vu que la mission ANNEX 1 nous montre 100 membres d’équipage avec en plus leurs familles dans les flashbacks qui leur sont consacrés, on peut bien leur pardonner. Sinon, Shokichi Komachi a comme un faux air du Commandant Shepard de la saga vidéoludique Mass Effect… ^^

Les meurtriers et les condamnés à mort possèdent tout de même des droits.  En revanche, il existe des individus en dessous de tout. Des parias pour qui les droits de l’homme ne signifient rien. Ces moins que rien… ce sont les pauvres, les miséreux.

Avec le tome 1, les auteurs ont eu l’excellente idée d’élaborer leur premier tome à la fois comme un stand-alone et comme le prologue d’une série au long cours. Comme ça que le succès ou l’insuccès soit au bout du chemin, on conserve une bonne histoire avec un début, un milieu et une fin.
En 2599, les 15 membres de l’équipe de la mission BUGS-2 ont subi l’opération entomomorphique qui leur octroie d’évoluer librement dans l’environnement martien avec en bonus les capacités d’une autre espèce : la narration joue dessus et nous découvrons leurs pouvoirs au fur et à mesure d’un survival horror d’excellente facture qui emprunte autant aux récits anti-système des années 1970 qu’aux slashers classiques des années 1980. Les loyalistes et les traîtres de la shadow team vont devoir s’unir ou périr ! Le final est très réussi : malgré l’héroïsme du capitaine Donatello K. Davis, c’est l’hécatombe et les survivants sont ceux qui avaient le moins envie de l’être, le plus désespéré d’entre eux abandonnant son humanité pour donner une chance de s’en sortir à ceux qui dans le malheur sont devenus ses amis. On sent la fraternité qui unit ces personnages cabossés par les misères de la vie qui finissent par comprendre qu’ils ne sont que des cobayes, des prototypes ou de la chair à canon pour des homines crevarices qui n’ont d’humains que le nom et qui se sont autoproclamées élites de l’humanité… Et suprême élégance la fin offerte est ouverte ! Mais ce n’est pas la fin, ce n’est que le commencement, et de la lutte des classes accouchera un Grand Soir…

 

note : 8,5/10

Alfaric

Parce que notre avis n’est pas le seul qui vaille, quelle note mettriez-vous à cet ouvrage ?

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