Anthony Ryan

Raven Blade, tome 1 :

L’Appel du Loup

Roman, fantasy / heroic fantasy 
Publié en VF le 10 juin 2020 chez Bragelonne
Publié en VO en juillet 2019 chez Ace Books (« Raven Blade 1: The Wolf’s Call »)

Vaelin Al Sorna est une légende vivante, célébrée d’un bout à l’autre du Royaume Unifié. Par son génie militaire il a renversé des empires, par son bras il a remporté d’impossibles batailles… et par ses sacrifices il a vaincu un mal sans nom. Malgré ses titres, il s’est détourné de la gloire pour mener une vie paisible dans les Hauts Confins.
Et pourtant, des bruits courent par-delà les mers… Une armée appelée la Horde d’Acier approche, menée par un homme se prenant pour un dieu. Vaelin n’a aucune envie de revenir aux armes, mais lorsqu’il apprend que Sherin, la femme qu’il a perdue voilà bien longtemps, est tombée entre les griffes de la Horde, il choisit de se mesurer à cette nouvelle menace.
C’est au cœur des royaumes des Rois Négociants, alors même que les tambours de la guerre résonnent aux quatre coins d’un continent gangrené par la violence, que Vaelin apprendra cette vérité : il est des batailles que même lui ne peut remporter.

AMOUR. AMITIÉ. COURAGE. HONNEUR. RÉDEMPTION. David Gemmell aura toujours été fidèle à ces valeurs. Il nous a quitté, mais portés par ce qu’il a réalisé ce sont ses héritiers aussi nombreux que talentueux qui défendent désormais ses couleurs… Donc « Anthony Ryan » et ses confrères « n’inventent rien » et de ne « révolutionnent pas le genre », mais il a un immense amour de la SFFF, et un immense respect pour ceux qui les ont précédés, et beaucoup de complicités avec le lectorat dont ils ont fait partie avant d’intégrer l’auteurat. On n’est dira pas autant de tous les « génies » avec du « style » qui à force de se regarder le nombril n’existent qu’en brûlant tout ce qui est antérieur à leur « grandeur »…

Après une très bonne trilogie arcanepunk, Anthony Ryan revient à l’heroic fantasy avec son personnage fétiche. Le cycle Raven Blade fait ainsi suite au cycle Blood Song, et l’intrigue reprend quelques années après la chute de l’Empire Volarien et l’échec des super-vilains reagano-thatchéro-macroniens qui voulaient nous trouver, nous amener et dans les ténèbres nous lier… Et L’auteur revient à une narration plus directe centrée sur Vaelin al Sorna (avec des interludes racontées depuis le futur par l’historienne Luralyn, qui raconte comment ses dons de précognition ont permis à son frère de prendre la tête de la Horde d’Acier). Cela résout quasiment tous les soucis d’équilibre et de rythme qui pouvait faire tiquer dans ses romans précédents.

Nous avons d’abord une mise en place de 100 pages qui permet démarrer tranquillement (avec l’aide d’un fort pratique dramatis personnae qui permet de s’y retrouver parmi les dizaines de personnages du roman). Vaelin al Sorna est de nouveau retiré du service actif, et dans ce tome 1 de Raven Blade il reprend le poste qui lui avait été dévolu au début du tome 2 de Blood Song : Seigneur de la Tour du Nord dans les Confins… Il alterne donc tâches militaires et tâches administratives, exercice de la haute et de la basse justice, tout en battant la campagne pour châtier des partisans du libéralisme à outrance qui pensent que l’abolition de l’esclavage est une affreuse entrave à la liberté d’entreprendre…
On retrouve ou on découvre avec plaisir les principaux protagonistes du drame :
Vaelin est Robin de Locksley, le hors-la-loi encapuchonné
Sherin est Lady Marian, la demoiselle en détresse mais pas trop quand même
Erlin est Frère Tuck, l’immortel déchu dispensant ici la sagesse des siècles passés
Nortah est Petit Jean, l’ami indéfectible ayant forcément des problème avec la boisson
Sehmon est Will Scarlett, le bandit repenti en quête de rachat
Alum Vi Moreska reprend le rôle d’Azeem jadis dévolu à Morgan Freeman dans le Robin des Bois de Kevin Reynolds avec Kevin Kostner.
Nous sommes au début du XXIe siècle et le cahier des charges impose d’avoir une héroïne adolescente. C’est ainsi que revient à Ellese Mustor d’incarner le rôle de la Mary Sue badass. L’auteur n’est pas dupe et prend un malin plaisir à la brocarder (elle croit avoir tout vu et tout vécu, mais en fait elle ne sait rien du vaste monde qui l’entoure, et malgré ses capacités hors-norme elle enchaîne les bourdes).
Toujours est-il qu’en tant que héros de guerre, Vaelin reçoit une ambassade du Royaume Vénérable menacé par l’invasion imminente de la Horde de Fer. Mais ses invités sont assassinés par l’ennemi, et le boss de fin révèle à Vaelin que son Sherin l’amour de sa vie est toujours en vie et qu’il compte bien la tuer elle aussi…

Nous avons ensuite 300 pages de quête qui font traverser l’océan à la Team Vaelin. Et force est de constater que si on prend son temps, je ne me suis jamais ennuyé. Bien au contraire je me suis pris au jeu, et j’ai bien aimé car avec un seul point de vue on ne se disperse pas et le rythme ne se dilue pas. Erlin qui a bourlingué aux quatre coins du monde sert de guide, et notre héros emmène dans ses bagages Nortah à qui il a promis une cure de désintoxication, Sehmon qu’il doit punir, Ellese qui s’est invitée et qu’il doit éduquer, ainsi qu’Alum Vi Moreska qui est persuadé que Vaelin et le seul être au monde qui peut lui permettre de retrouver ses enfants…
On reprend les codes de la fantasy du couple Eddings sans ses défauts (à savoir des voyages sans s’appesantir à chaque étape sur les corvées de cuisine et de latrines), et les codes de la fantasy à la Feist sans ses défauts (de l’action et de l’aventure sans reprendre les clichés Donjons & Dragons).
Nous découvrons ainsi les us et coutumes des Royaumes Négociants, héritiers de l’Empire d’Émeraude, qui sont un décalque de la Chine IRL. On identifie facilement la tyrannie du premier empereur et ses meurtres de masses, mais ensuite l’auteur brouille un peu les pistes entre les Trois Royaumes qui jouent au poker menteur et l’Empire Song en guerre contre les nomades mongols. Ainsi si David Gemmell avait mis à contribution le chanbara japonais, Anthony Ryan met lui à contribution le wuxia chinois : ils sont aussi cool l’un que l’autre…
Alors au final la Team Vaelin suit d’abord Pao Len, Chien et Crabe. Puis elle suit Cho Tsai, Ahm Lin, et la Princesse de Jade qui est partie dans la steppe mettre fin à la guerre avant qu’elle ne commence…

Nous avons enfin 100 pages d’epicness et de tragicness to the max. La Team Vaelin doit rejoindre la civilisation avec la Horde de Fer aux trousses, et ensuite nous avons un conquérant inarrêtable, calqué sur Genghis Khan IRL, et une forteresse imprenable tenant autant de Fort le Cor et de Fort Alamo, pour nous raconter une des plus vieilles et une des meilleures histoires au monde, celle de « few against many » / « peu contre beaucoup ». Tout le monde aura reconnu le pitch du Légende de David Gemmell, et l’auteur pousse le vice en faisant de Vaelin un vieux baroudeur qui monte son propre bataillon en transformant les contrebandiers des Vipères Vertes en soldats de la Compagnie des Crânes…

Crains l’homme à la lance plus que tu ne crains l’homme à l’épée.
Crains l’homme à cheval plus que tu ne crains l’homme à la lance.
Crains l’homme à l’arbalète plus que tu ne crains l’homme à cheval.
Mais par dessus-tout, crains la vieille au couteau qui s’approche pendant que tu baignes dans ton propre sang, après la bataille. Car elle ne te craint pas du tout.

Jusqu’à présent je n’en ai dit guère plus que dans le 4e de couverture, donc passons au plat de résistance en ZONE SPOILERS !!!

Jurisprudence Robin des Bois :
Avec un tel casting le livre ne peut pas renier ses inspirations, à savoir la légende du hors-la-loi qui prenaient aux riches pour donner aux pauvres (histoire de rééquilibrer la balance avec des autorités qui prenaient aux pauvres pour donner aux riches)…
Mais bien évidemment on donne dans la fantasy à la David Gemmell, entre « heroic » et « dark » avec des personnages désabusés traînant leurs misères une ambiance crépusculaire (mais toujours avec du cœur, ah ça oui beaucoup de cœur). On retrouve donc tout naturellement l’ambiance, les thématiques et le relationship drama du film La Rose et la Flèche de Richard Lester. Robin de Lockley revient en Angleterre, et les Joyeux Compagnons de Sherwood espèrent que l’aventure continue et que le miracle ait a nouveau lieu. Car plus les choses changent et plus elles restent les mêmes, les autorités continuant de prendre aux pauvres pour donner aux riches… Mais Robin et Marianne ont perdu leurs illusions, ne sachant que trop bien que leur histoire appartient au passé. Sauf que le Shériff de Nottingham ne désarme pas, et remet tout le monde en selle pour écrire sa propre légende : plus celle de Robin des Bois brillera, et plus il remportera fortune et gloire en le vainquant. Le conquérant Kelhbrand agissant exactement comme lui, impossible que l’auteur du livre n’ait pas vu le film !

Jurisprudence X-Men :
Chez JRR Tolkien c’est les magiciens et les pouvoirs magiques qui faisaient pencher la balance dans la guerre du Bien et du Mal (oui mais non puisqu’en fait elle faisait rage dans l’âme de chacun). Chez David Gemmell qui adoraient le travail de Stan Lee grand gourou de Marvel Comics c’est les psioniques et les pouvoirs psychiques qui faisaient pencher la balance dans la guerre du Bien et du Mal (oui mais non puisqu’en fait elle faisait encore rage dans l’âme de chacun). Chez les auteurs américains néo-classiques, ce sont les super-héros et super-vilains dotés de super-pouvoirs qui font pencher la balance dans la guerre du Bien et du Mal (oui mais non, car elle fait toujours rage dans l’âme de chacun). Cela fait du bien que des auteurs anglais s’inspirent de leur démarche d’une grande supracoolitude…
Une bonne partie du roman est basée sur le fait : il faut trouver les détenteurs de pouvoirs, identifier leurs capacités, et trouver le moyen de les utiliser s’ils sont dans votre camp ou de les neutraliser s’ils sont dans le camp ennemi. Et cela devient très compliqué quand les super-pouvoirs d’untel ou unetelle sont le contrôle de masse ou le lavage de cerveau… Car quel super-pouvoir a obtenu Kelhbrand l’apprenti maître du monde qui se prend pour un dieu ?
Ce jeu là m’a rappelé aux meilleurs souvenirs de la saga JoJo’s Bizarre Adventure. Anthony Ryan reprend le concept des pierres de pouvoirs de David Gemmell, mais celles-ci fonctionnent peu ou prou comme les flèches d’argent du mangaka Hirohiko Araki. Dans l’univers de Blood Song / Raven Blade, on peut naître avec un super-pouvoir, on peut l’obtenir en buvant le sang de quelqu’un qui est né avec (ce que faisaient les ploutocrates suprématistes de l’Empire Volarien, faisant de l’élevage humain pour assouvir leurs appétits inhumains), ou si on survit au contact d’une pierre de pouvoir on en obtient un en accord avec sa nature (à condition de ne pas en toucher à nouveau, sinon on à perd ce qu’on a obtenu). Incarnations du libre arbitre les pierres de pouvoir comme les flèches d’argent fabriquent indifféremment super-héros et super-vilains, mais comme tout le monde devrait le savoir le pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument. Que se passerait-il si quelqu’un possédant déjà un super-pouvoir touchait une pierre de pouvoir ? Comme Giorno Giovanna dans Vento Aureo il pourrait bien accéder à la divinité ! (hypothèse ou foreshadowing ? Remember le Vannier !)

Jurisprudence Dune :
Comme beaucoup d’écrivains, Anthony Ryan a été lecteur avant d’être auteur. Et pour la troisième fois en trois cycle il reprend les batailles d’augures du chef-d’œuvre de Frank Herbert. Car un voyant ne peut voir l’avenir d’un autre voyant. Ahm Lim voit le futur de la Princesse de Jade, et Luralyn voit le futur de Kelhbrand, mais personne ne sait jusqu’où peuvent voir la Princesse de Jade et Kelhbrand. Les good guys font-ils preuve de naïveté en croyant aux capacités de la Princesse de Jade, ou les bad guys font-ils preuve d’aveuglement en croyant aux capacités de Kelhbrand ? Le boss de fin obsédé par le storytelling de sa propre vie affirme qu’il a amené Vaelin là où il le voulait pour avoir un ennemi qui justifie sa cause et qui donne un adversaire à affronter à ses troupes. Mais il est tout aussi probable que d’autres aient amené Vaelin là où ils le voulaient pour forger l’arme qui parviendra à abattre l’apprenti maître du monde…

Jurisprudence Highlander ?
Ce n’est pas très mis en avant mais cela m’a paru évident. Il y a beaucoup de complicité dans le relation entre la Princesse de Jade qui a toujours assumé son immortalité et Erlin qui n’a jamais su quoi en faire au point de la rejeter. Oui l’immortalité n’est pas un super-pouvoir si rare que cela, et oui des immortels ont navigué pendant des millénaires sur l’histoire de l’humanité considérant leur don comme un bénédiction ou une fardeau. Mais nul ne peut échapper au passé qui l’a forgé, et plus encore nul ne peut échapper à la trilogie dharma, kama, karma : devoir, désir, destin ! La Princesse de Jade première des immortelle a décidé de faire face au sien, et passe le flambeau à Erlin le dernier des immortels : rien de durable ne peut se faire sans l’amour de son prochain…
Elle lui révèle également que la malédiction du pouvoir est préexistant à l’arrivée des pierres de pouvoir. Mais est-ce vraiment une révélation pour les lecteurs et les lectrices de fantasy ? Car oui la haine et la violence, le mépris et l’indifférence, sévissaient dans l’univers crée par JRR Tolkien bien avant que Sauron ne forge l’Anneau Unique…

Encore et toujours, la lutte des classes !
Chez David Gemmell Ulric et les Nadirs reprenaient les rôles de Temüjin et les Mongols IRL. Chez Anthony Ryan c’est Kelhbrand et les Stahlhasts qui jouent ces rôles. Ils sont clairement indo-européens et on précise bien que se sont des nomades venus d’occident. Pas mal d’auteurs nous ont fait le coup des réfugiés atlantes, à commencer par David Gemmell. Dans son multivers, les survivants de la chute d’Atlantis voyageaient de part le monde entier en se faisant passer pour les dieux des mythologies du monde entier, divisés en « humanistes » protecteur des peuples et en « suprématistes » exploiteurs des peuples…
Kelhbrand utilise les dons de voyance de sa petite sœur Luralyn pour combattre la théocratie qui maintient son peuple en esclavage. Conquérant ou libérateur ? Le récit montre bien qu’il ment à tout le monde pour manipuler tout le monde, utilisant ses nouveaux alliés pour détruire ses anciens alliés, éliminant les contestataires et les septiques pour transformer les sujets qu’il a promis de protéger en adorateurs prêts à se sacrifier, les nouveaux mondes succédant à répétition aux anciens mondes, jusqu’à ce que personne ne se souviennent du monde d’avant et que le leader bien-aimé puissent façonner la réalité à son gré…
On voit bien le parcours de n’importe quel dictateur totalitaire, mais comme par hasard le mantra des théocrates est exactement la devise des capitalistes emprunté à ce salopard de Jack Neutron l’ancien DRH puis PDG de General Electrics (de son vrai nom Jack Welch, surnommé ainsi parce que là où il passe les murs restent mais les employés trépassent). Donc en fait on a des élites autoproclamées qui ont qui tellement peur de leur propre peuple qu’il en sacrifie une partie pour conserver le pouvoir et maintenir le système en place, avec l’ascension d’un leader populiste qui veut prétend changer les choses en réussissant là où ses prédécesseurs ont échoué. Et l’incurie et l’aveuglement des élites autoproclamées sont telles que non seulement il réussit, mais qu’en plus il passe directement aux étapes suivantes qui doivent faire de lui le maître du monde… Bref, au royaume des mensonges, le Grand Capital et la Bête Immonde règlent leurs comptes !

 

Évidemment, à la fin de ce tome 1 un cliffhanger de ouf qui oblige à lire la suite immédiatement. Mais les longs interludes écrits à la première personne par Luralyn nous rappellent que le livre et le cycle sont écrits en analepse. D’ailleurs ces longs interludes sont très bien fichus, nous expliquant toujours au bon moment et de la bonne manière l’ascension de l’apprenti maître du monde que les héros ne voient que de loin. Quels que soient les tours et détours pris par l’intrigue, quels que soient les heurs et malheurs que vont devoir affronter les personnages, quels que soient les tempêtes qui vont s’abattre sur les royaumes des hommes, tout est déjà écrit. Placée à la fin de l’histoire, Luralyn qui voyait l’avenir chronique au passé les événements qui se sont déjà déroulés. Tout sera dans la manière dont le « passé » va rejoindre le « présent ». Et à ce petit jeu là, Anthony Ryan a déjà semé pas mal de petit cailloux blancs…

note : 8+/10

Alfaric

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