G.R.R. Martin

Le Trône de Fer, tome 1

Roman, Fantasy 
Publié en VF de mai 1998 à janvier 1999 chez Pygmalion
Publié en VO le août 1996 (« A Song of Ice and Fire 1, A Game of Thrones »)

Le royaume des sept couronnes est sur le point de connaître son plus terrible hiver : par-delà le mur qui garde sa frontière nord, une armée de ténèbres se lève, menaçant de tout détruire sur son passage. Mais il en faut plus pour refroidir les ardeurs des rois, des reines, des chevaliers et des renégats qui se disputent le trône de fer, tous les coups sont permis, et seuls les plus forts, ou les plus retors s’en sortiront indemnes…

On ne présente plus le phénomène Trône De Fer / Game Of Thrones. Pour lui on a élaboré les dénominations de low fantasy, de fantasy à intrigues, et de fantasy dynastique. Tout nouveau cycle dans le genre lui est désormais comparé depuis le début de saga en 1996 (il y a donc un peu plus de 25 ans à l’heure où j’écris ces lignes, et à cette même heure la saga n’est pas terminée du tout). GRR Martin compose d’abord et surtout des romans historiques déguisés en romans fantasy pour se poser en rupture des gros cycles de High Fantasy, appelé aussi BCF = Big Commercial Fantasy (sauf qu’il remplace les cycles à rallonge par une saga interminable, mais bon j’en reparlerai ultérieurement)… Sinon c’est bien dommage que des prescripteurs d’opinion se contentent d’un parallèle avec JRR Tolkien juste pour dire que « c’était le destin des « R.R. » que de marquer la fantasy de leur empreinte » (sic).

Pour commencer, Westeros conquise par les Targaryens, c’est une Grande-Bretagne de la taille d’un continent conquise par les Normands. Pour continuer, GRR Martin puise avec allégresse dans l’histoire anglaise et reprend l’intégralité des personnages de la Guerre des Deux Roses pour construire le dramatis personnae de sa saga avant de s’amuser comme un petit fou à mélanger les noms et les situations : les Lancaster deviennent les Lannister, les York deviennent les Baratheon, les Rivers deviennent les Stark, Henri VI le roi fou devient Aerys II le Fol, le brave mais paillard Edouard IV devient le brave mais paillard Robert Baratheon, Warwick le King Maker et ses problèmes de descendance devient Tywin Lannister le Faiseur de Roi et ses problèmes de succession, cette vipère d’Édouard de Westminster se dédouble en Viserys Targaryen et Joffrey Baratheon, Marguerite d’Anjou devient Cersei (qui emprunte également à Isabelle de France), Anne Neville devient Daenerys Targaryen (qui emprunte également à Maude l’Empress)… Et on peut continuer longtemps ainsi ! Tout est passé à la moulinette, et c’est un vrai plaisir que de décrypter les détournements de l’Histoire.

Reste Tyrion, le coolissime Tyrion, le personnage préféré de l’auteur de son propre aveu (et le nôtre aussi), qui lui est presque un sosie grimm et gritty du Miles Vorkosigan de Lois McMaster Bujold (qui avait transposé tous les éléments de la Guerre des Deux Roses dans un space opera, du coup on y retrouve les alter egos spatiaux de Ned, Catelyn, Brienne, Sandor, Sansa et tous les autres 10 avant leur création prétendument originale par GRR Martin).

Et puis au cours de la saga on va avoir droit au Mur d’Hadrien protégeant les contrées du sud des sauvages du nord, à l’anarchie des guerres civiles, aux invasions vikings, aux révolutions puritaines, à la retraite de Dunkerque… Il ne manque plus qu’Arthur Pendragon, le naufrage de la Blanche Nef, la Magna Carta et l’Habeus Corpus…

Et la Fantasy dans tout cela ? On ne va pas se mentir, les Targaryens de GRR Martin empruntent vraiment pas mal de trucs aux Melnibonéens de Michael Moorcock. Le réenchantement de son monde opéré par GRR Martin est lui assez élégant, mais insérer des morts-vivants, des dragons et des magos psychos dans sa saga c’est quand même un chouia racoleur, surtout qu’il tease à mort dessus dès le titre (A Song of Ice and Fire) alors qu’on attend longtemps d’entrer dans le vif du sujet… (Bon, les Marcheurs Blancs, quand est-ce qu’ils passent enfin à l’action bordel de merde ?)

Papy George a commencé sa carrière dans les années 1970, où justement les mélanges entre romans historiques et romans fantasy étaient monnaie courante, mais dans les années 80 et il se frotte à l’impitoyable monde des networks avec la série La Belle et la Bête ou les épisodes pilotes du relaunch d’Au-delà du réel. C’est donc tout naturellement qu’il utilise des méthodes de narration modernes, très télévisuelles pourrait-on dire, en multipliant les points de vue qui scandent le chapitrage pour faire du page-turner, et ce d’autant plus facilement et efficacement qu’il possède un vrai talent pour installer une ambiance en quelques paragraphes pour camper un personnage en quelques tirades. Après la caractérisation est aussi un vrai un pot-pourri : il y en a pour tous les goûts, et donc tous les publics, mais on reconnaît tout de suite le spectre des héros adolescents en devenir (Arya, Sansa, Jon, Bran, Robb, mais surtout Daenerys) associés à des personnages plus adultes parfois blancs, parfois noirs, souvent gris… Du coup on est obligé d’aimer car il y a forcément un truc qui nous plaît dedans ! blink

Il y a cette polémique autour de la traduction de l’expérimenté Jean Sola, parfois qualifié de « lutin borgne et facétieux qui aurait traduit avec une truelle ou même plutôt google » (sic)… Si on enlève les branchouilles VOphiles qui haïssent la langue de Molière, les casse-bonbons qui s’attaquent à la traduction parce qu’ils n’osent pas s’attaquer à l’œuvre elle-même, et les bobos hipster tellement habitués au caviar qu’ils ne savent plus rien apprécier d’autres, que reste-il ? Un très bon travail, la VF s’avérant même plus plaisante que la VO, parce que franchement GRR Martin n’a jamais été un grand styliste… (Dans les deux cas, ce n’est pas moi qui le dit mais les mes camarades francophones outre-manche ou outre-Atlantique)

Par contre il donne des bâtons pour se faire battre avec quelques choix malheureux (la maison du kraken devient la maison de la sèche, OK c’est nul, mais comment trouver une bonne traduction au terme « direwolf » ???), quelques maniements hasardeux (mais pinailler sur le placement des descriptions dans une saga qui dépassera les 10000 pages c’est vraiment pinailler juste pour le plaisir de pinailler), et une médiévisation de la prose et du vocabulaire d’origine pas toujours bien maîtrisée… Mais pour en avoir parlé avec les traducteurs eux-mêmes, ces derniers ne sont aucunement responsables du final cut (j’ai un exemple où l’éditeur à demander de laisser tels quels les noms d’armes et d’armure en anglais pour faire plus MMORPG), donc c’est aux éditeurs et pas aux traducteurs qu’il faut adresser des reproches…

Lorsqu’on s’amuse au jeu des trônes, il faut vaincre ou périr, il n’y a pas de moyen terme.

Mais que nous raconte ce tome 1 ? Le roi Robert Barathéon vient à Winterfell demander à Ned Stark de remplacer leur ami Jon Aryn récemment décédé au poste de Main du Roi (car il n’a plus confiance qu’en lui, son frère d’arme d’il y a 15 ans lors de la rébellion contre Aerys Targaryen le roi fou). Homme de devoir, il ne se dérobe pas : papa et ses filles partent se frotter aux intrigues de cour de la capitale tandis que maman et ses garçons restent à la maison remplir leurs obligations et que le bâtard part au Mur pour y prendre le noir…

Car dans le Grand Nord, c’est dans le froid que de bien étranges événements se multiplient et que les légendes renaissent dans la nuit. Loin à l’Est, cette vipère de Viserys Targaryen vend sa sœur à un Seigneur de la Guerre de la steppe infinie pour obtenir les moyens de reconquérir le trône qu’il pense lui revenir de droit… Mais à Westeros c’est la double tentative de meurtre sur le jeune Brandon Stark qui met le feu aux poudres : les coupables sont tout désignés, et tandis que Ned enquête sur la mort de son prédécesseur la tension monte très rapidement entre les maisons Stark et Lannister… Au final malgré la multiplicité des POVs, tout est centré sur le destin de Ned Stark, autour duquel gravitent tous les enjeux et qui va accumuler les choix malheureux avant que le ciel lui tombe sur la tête… A la fin de la saga il faudra faire le palmarès de ceux qui se mirent eux-mêmes la corde autour du coup, parce que dans cette saga la concurrence est sacrément rude à ce niveau-là !

Tous les personnages sont certes de noble naissance, mais derrière le soap nobiliaire, quelles sont les forces agissantes de son univers ? Des bas quartiers de Port-Réal sortent à la fois les progressistes de Beric Dondarrion qui reprennent à leur compte les idées socialistes de Robin des Bois et les intégristes du Grand Moineau qui prônent l’égalité à coup de procès de Moscou, d’autocritiques forcées et de bastonnades diverses et variés ; des contrées orientales sortent à la fois Daenerys du Typhon, la Briseuse de Chaînes, qui après les Gracques et Spartacus nous refait la lutte des classes, et les prêtres rouges d’Ashaï qui prônent la fraternité à grand coup de bûchers ; dans le Nord au-delà du Mur, les Autres réunissent forts et faibles, riches et pauvres, honestiores et humiliores dans l’éternité de la mort-vivance…

L’auteur aurait-il filé une allégorie du monde contemporain ? En fiction comme IRL, des excès des homines crevarices surgissent toujours de nouvelles Bêtes Immondes et ici entre ceux qui ne veulent rien changer pour conserver le pouvoir er ceux qui prône le chaos pour mieux s’emparer du pouvoir, les choses ne sont pas près de s’arranger. Car au final l’Hiver vient et il faudra s’unir ou périr… Donc comment faire avec toutes ces années passées à diviser pour régner ?

Qui sera donc le possesseur du trône de fer et le maître de Westeros ? Guettez le personnage dont l’histoire est la plus proche de celle d’Henri Tudor, et rappelez-vous que l’auteur est grand fan des Rois Maudits de Maurice Druon…

note : 8,5/10

Alfaric

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