Marv Wolfman (scénario)
Gil Kane, Dave Cockrum, Carmine Infantino, et Sal Buscema (dessin)
d’après Edgar Rice Burroughs

John Carter of Mars,

Warlord of Mars

(Intégrale 1977-1978)

Comics, Science-Fiction / Sword & Planet
Publié en VF le 08 février 2019 chez Neofelis
Publié en VO entre 1977 et 1978 chez Marvel Comics (« John Carter, Warlord of Mars »)

Pour la 1ère fois en France, découvrez les aventures inédites de John Carter, le héros de deux mondes, créé par Edgar Rice Burroughs (« Tarzan ») en 1912. Ce volume vous propose 300 pages d’histoires épiques avec les 15 premiers épisodes publiés à la fin des années 70 par Marvel Comics et réalisés par Marv Wolfman (« The Tomb of Dracula »), Gil Kane (« The Amazing Spider-Man ») ou encore Rudy Nebres (« Creepy »). Attachez votre ceinture et direction Barsoom avec John Carter et Dejah Thoris !

Je suis arrivé sur Barsoom par le mauvais portail, à savoir l’adaptation cinématographique à 375 millions de dollars réalisée par la Disney Corporation et je vais résumer simplement cette rencontre ratée en 3 points :
– le Virus Mickey qui édulcore tout ce qu’il touche (pour le rendre PG-13 selon l’expression consacrée)
– avoir confié la réalisation à quelqu’un venant du monde de l’animation n’ayant jamais fait de live-action
– avoir oublié que le récit fondateur a inspiré tous les autres donc s’autoplagier sans même sans rendre compte
J’ai pu rectifier le tir avec le commando réuni par Marv Wolfman dans les années 1970. Hier Philip K. Dick avait dit qu’il était avec Jésus pour combattre les Romains, et aujourd’hui je peux écrire que j’étais avec John Carter pour sauver les Martiens… Welcome to an universe of « High Adventure » !!!

A début du XXe siècle il n’y a pas encore de frontière entre les genres, donc on mélangeait allègrement Science-Fiction, Fantastique et Fantasy ! On a résumé cette belle époque de la SFFF par la dénomination « Swords & Planet », et aujourd’hui on parlerait sans doute volontiers de « Sword & Laser »… Nous sommes ici dans la Portal Fantasy, et le Cycle de Mars caractérise sans doute plus le genre que Peter Pan et Alice au Pays des Merveilles, ou même le Magicien d’Oz. C’est par la porte SF que John Carter débarque sur Mars, et pour lui il n’y a pas beaucoup de différence avec l’Arizona : des paysages désertiques à perte de vue, où s’affrontent les Martiens Rouge sédentaires et civilisés (on va les appeler WASP), semblables aux humains si ce n’était leur couleur de peau et le fait qu’il soit comme les ornithorynques à la fois mammifères et ovipares, et les Martiens Verts nomades et barbares, géants à six membres où l’individu n’est rien et la collectivité est tout (on va les appeler Amérindiens). Le Space Opera c’est le western dans l’Espâce, ce qui est exactement le cas ici avec la transposition du « mythe de la frontière » sur Mars…
Mais les uns comme les autres ne sont que les créations des anciennes civilisations martiennes pour survivre à cette période de 500 millions d’années durant laquelle en perdant son champ magnétique leur planète a perdu son hydrosphère et son atmosphère érodées par les vents solaires (un concept repris dans le Nausicaä d’Hayao Miyzaki, mais je ne voudrais pas trop spoiler un tel chef-d’œuvre). Martiens Noirs suprématistes, Martiens Dorés hypercapitalistes, et Martiens Blancs isolationnistes veulent retrouver d’une manière ou d’une autre leur gloire d’antan…

Chaque peuple est prêt à tout et au reste pour les siens, mais uniquement pour les siens communautarisme oblige, à l’exception de John Carter étranger qui n’appartenant à aucune communauté veut lui sauver tous les Martiens de leur terrible destinée. Les bobos des réseaux asociaux (les insupportables Social Justice Warriors) pourraient encore radoter à l’infini sur la tyrannie de l’homme blanc cis hétéro, mais ici c’est tout simplement que nul n’est prophète en son pays même quand on est humaniste et universaliste. Pire encore, comme l’ont démontrer tous les héros mythologiques parfois toute la force du monde ne sert à rien : bien souvent John Carter combat des adversaires qui eux-aussi veulent sauver Mars, et bien souvent la victoire est amère car synonyme de disparition définitive d’un peuple qui ne cherche qu’à survivre… Car nous sommes dans une course contre la montre ! Mars est une planète mourante (« Dying Earth », un genre en soi qui doit son nom et sa définition à Jack Vance), et il faut s’unir comme des frères ou périr comme des idiots (amener la Révolution Culturelle dans un classique des genres de l’imaginaire : voilà la plus-value du commando réuni par Marv Wolfman). John Carter a connu et subi les horreurs de la Guerre de Sécession, c’est donc avec l’énergie du désespoir qu’il combat inlassablement pour que sa patrie d’adoption ne connaisse pas comme les États-Unis d’Amérique les ravages d’une guerre civile dégénérant en guerre totale… En passant de la planète Terre à la Planète Mars il est passé de soldat à surhomme, et en combattant encore et encore pour l’avenir de Barsoom il finit par incarner l’espoir de tous les Martiens. Mais il finit aussi par être dépassé par la mission qui l’habite tout entier : John Carter commence à oublier qu’un jour il a été terrien, et les souvenirs des grands héros du passé n’arrêtent plus de le hanter. Il devient alors le Champion Éternel : bien malin sera celui qui trouvera où se termine l’œuvre d’Edgar Rice Burroughs et où commence celle de R.E. Howard qui aurait pu être son héritier, et plus malin encore sera celui qui trouvera où commence celle de Michael Moorcock qui a été son héritier !

Un guerrier peut changer d’épée mais pas de cœur.

Le gros du tome est consacré au récit intitulé Les Pirates des Airs de Mars qui s’étend sur 10 épisodes de juin 1977 à mars 1978. Grosso modo John Carter et ses alliés font face à un boss à tiroir : derrière le martien vert Krakas qui enlève Dejah Thoris il y a le cyborg Stara Kan qui se laisse capturer car il a un plan pour détruire Helium, derrière Stara Kan il y a la société secrète de Conseil des Cinq qui a un plan pour la planète toute entière, et derrière le Conseil des Cinq il y a « le Seigneur » dernier survivant de l’Âge d’Or de Mars persuadé qu’il est le seul capable de sauver son monde bien aimé… Alors oui on a un déroulement très pulpien des événements avec un Edgar Rice Burroughs qui forge absolument tous les codes du genre «  Sword & Laser » avec une demoiselle constamment en détresse et une jolie collection de monsters of the week qui font leur apparition entre duels à morts et batailles rangées. Tous les codes du gens, mais pas seulement : Tharkas et sa fille Sola se demandent quelle la meilleur voie à choisir pour le peuple des Martiens Verts, John Carter est constamment suspecté de défection car il est étranger et il doit sans cesse faire preuve de sa loyauté envers sa nouvelle communauté, et au fil des événements les différents compagnons de John Carter décident de prendre leur destin en main au lieu de laisser faire l’homme providentiel (mention spéciale au personnage de l’augure Lyssia repris par Leight Brackett dans la saga Skaith)… Tout cela nous mène au combat final entre l’armée menée par le Roi d’Hélium et l’armée menée par le Seigneur du Conseil des Cinq pour protéger ou détruire les usines atmosphériques. Et ce combat va décider du sort de la planète toute entière : epicness et tragicness to the max garanti ! Gil Kane se charge des dessins de tous les épisodes assisté par la talentueuse Philippine Ruby Nebres à l’encrage, et c’est à peine si on voit que Dave Cockrum lui a donné un coup de main pour l’épisode 1. Ce n’est peut-être pas le meilleur des années 1970, mais dans tous les cas c’est du très années 1970…

L’Histoire de Dejah Thoris est un récit indépendant qui reprend le récit des événements du premier roman par la princesse de Mars plutôt que par ceux du héros de la Terre. Pour moi qui ne connaît pas trop bien cette saga culte, c’était un épisode plutôt bienvenu. La princesse de Mars est évidemment au centre du show, et Dave Cockrum se régale à la dessiner quitte à en oublier un peu le reste…

Les récits intitulés La Cité des Crânes, La Marche des morts et Ce Soir… Hélium Meurt ! constituent une mini-série plus heroic fantasy tu meurs qui n’aurait pas dépareillé dans la saga Les Maîtres de l’Univers… On libère par inadvertance un méchant millénaire, qui passe immédiatement en mode « Carthago Delenda Est » pour des raisons que la raison ignore, et c’est ainsi que les braves défenseurs de la cité d’Hélium doivent se battre contre la légion des morts du champion nécromancien Zhuvan d’Ark ! Les dessins de Carmine Infantino vont le taf même s’ils ne sont pas toujours égaux…

Quand les anciens morts marchent ! est un « loner » de 30 pages. En mission de reconnaissance John Carter vient en aide à un inconnu. Celui-ci se nomme Pan Dan Chee, c’est un Martien Blanc et leur loi est sans appel : pour protéger le peuple des Martiens Blancs, tous ceux qui apprennent son existence doivent mourir. « DURA LEX SED LEX » : John Carter ne veut se laisser mettre à mort, et en parlant du monde extérieur il soumet à une tentation insoutenable Pan Dan Chee qui a toujours rêvé de découvrir le monde extérieur. Il est garant de son sauveur devenu son prisonnier, et il prêt à se laisser tuer pour rembourser sa dette quand dans le puits des ancêtres il découvre de bien sombres diableries…
ATTENTION SPOILERS Les anciens souverains des Martiens Blancs ne sont pas embaumés mais endormis, et en se réveillant ils débarquent dans un monde mourant loin de leur vie d’antan. Les Martiens Blancs sont des psioniques capables de matérialiser leurs pensées, et leurs anciens souverains sont assez puissants pour ressusciter la Mars d’Antan : l’espace d’un instant le sable redeviennent eau, et les steppes redeviennent océans… Mais les anciens souverains des Martiens Blancs ne sont dupes, leur temps est passé et ils préfèrent rejoindre le Grand Néant plutôt que faire vivre artificiellement leur gloire d’avant. Et par amour de la belle S-Lara, c’est sans ans souci que Pan Dan Chee repart avec eux dans l’oubli… FIN SPOILERS
OMG c’était beau à en pleurer : plus que jamais on est dans la boucle de du temps et l’éternel recommencement ! C’est Sal Buscema comme son frère John Buscema compagnon de Conan le Cimmérien qui était chargé des dessins de cet épisode, et comme par hasard c’est le mieux dessiné…

 

Quand Edgar Rice Burroughs racontait le destin de la Planète Mars à travers trois générations de héros (comme dans la saga Traquemort de Simon R. Green, encore un bel héritage de l’auteur), il ne s’attendait pas à rencontrer un tel succès (et il va récidiver avec le Cycle de Pellucidar et un certain Lord Greystock alias Tarzan) : il a fait rêver des millions et des millions de lecteurs sur plusieurs décennies, mais mieux encore ses lecteurs vont devenir auteurs à leur tour et faire rêver à leur tour des millions et des millions de lecteurs. C’est ça être humain, appartenir à une chaîne sans fin de rêves et de réalisations qui repoussent toujours plus loin les limites de l’imagination ! Ainsi je suis presque sûr que le Comte Aubec qui fait émerger du chaos les Jeunes Royaumes dans l’ouverture du Cycle d’Elric de Melniboné, ce n’est pas le Gary Stu de Michael Moorcock mais l’hommage de Michael Moorcock à son héros et mentor Edgar Rice Burroughs… Et oui, même dans un Monde De Merde, parfois la vie reste belle !!!

note : 7,5/10

Alfaric

0 commentaires

Laisser un commentaire

Pin It on Pinterest

Share This