Ed McDonald

Blackwing, tome 1 : La Marque du corbeau

Roman, dark fantasy / arcanepunk / weird west
Publié en VF le 18 avril 2018 chez Bragelonne
Publié en VO le 27 juillet 2017 (« Blackwing : Raven’s Mark #1 »)

Sous son ciel brisé et hurlant, la Désolation est une vaste étendue de terre ravagée, née quand la Machine, l’arme la plus puissante du monde, fut utilisée contre les immortels Rois profonds. De l’autre côté de ce désert, grouillant de magie corrompue et de spectres malveillants, les Rois et leurs armées observent encore – et attendent leur heure… Pour Ryhalt Galharrow, la Désolation n’a pas de secrets. Chasseur de primes armé pour affronter les hommes comme les monstres, il la traverse en quête d’une jeune femme aux mystérieux pouvoirs. Quand il se retrouve pris dans une attaque qui n’aurait jamais dû être possible, émanant des Rois profonds eux-mêmes, seule l’intervention inattendue de celle qu’il recherche lui sauve la vie. Jadis, cette femme et lui se connaissaient bien. Voilà qu’ils se redécouvrent au milieu d’une conspiration qui menace de détruire tout ce qui leur est cher, et qui pourrait mettre un terme à la trêve fragile de la Machine…

Un premier roman sacrément abouti pour un coup d’essai : Ed McDonald nous plonge directement au cœur de l’action avec des mercenaires désabusés et des super-sorciers ! Nous suivons le marshal Ryhalt Galharrow, 50% chasseur de primes 50% chasseur de sorcière, et sa troupe de mercenaires des Ailes Noires qui traquent un duo de fugitifs dans la Désolation, un lieu aux paysages tourmentés, à la géographie fragmentée, à la géologie torturée, à la faune et à la flore mutante (je ne veux pas savoir ce que sont les slweans, les dulchers ou les gillings), bref un lieu à l’ambiance malsaine où le temps et l’espace sont fluctuants… Une fois cette première mission accomplie, il est missionné par son employeur Corbac pour aller récupérer une magicienne au Poste 12 : à peine arrivés les mutants et les hérétiques de Shavada, le plus cruel des Rois des Profondeurs, lancent l’assaut et les survivants ne doivent leurs pauvres vies qu’à la magicienne en question qui s’avère être la fiancée de notre antihéros qui naguère l’a plaqué sans un mot d’explication…

L’univers sombre et désespéré est excellent ! Autrefois des apprentis sorciers ont délivré les Rois des Profondeurs de leur tombeau sous-marin (remember le tome 1 de La Compagnie Noire de Glen Cook, mais ici avec un petit habillage lovecraftien qui va bien), et avec la conquête de l’Empire de Dhojara ils ont obtenu les ressources humaines nécessaires pour alimenter leurs armées d’hérétiques et de mutants (remember JRR Tolkien : c’est la méthode Morgoth, Sauron, Saroumane). Depuis c’est la guerre et les 9 Cités-États désormais 7 ont fondé l’Alliance Dortmark, avant que les Sans-Noms, les super-sorciers de l’Ouest ne lancent sur les super-sorciers sorciers de l’Est le Cœur du Néant (merci Corbac) avant de recourir à la Machine (merci Nall) : la Désolation protège l’Ouest de Dhoraja, et le Cordon protège l’Ouest de la Désolation… On est un peu dans la Guerre Froide avant l’équilibre de la terreur, puisqu’avec la mort de Froid et Aède, les disparations de Bastombe et Nall, il ne reste plus Corbac et la Dame des Vagues qui brillant par leur absence du front se reposent sur leur Arme de Destruction Magique pour empêcher les hordes ennemies de traverser la Désolation et finir le boulot…

Canons, fusils, pistolets, chevauchées à cheval, je suis immédiatement passé en mode Weird West (le western SFFF, pour ceux qui ne connaîtrait pas ce terme), mais l’univers fait suffisamment appel à l’imagination de ses lecteurs pour s’incarner dans la Renaissance Dark Fantasy de l’univers Warhammer, dans le sailpunk de Greg Keyes plein de de bruit et de fureur, à une saga steampunk plus gothique tu meurs, voire carrément en un monde post-apo (et quelque on pourrait même penser à un hybride entre Les Monarchies divines de Paul Kearney et Les Poudremages de Brian McClellan). Reste que dans cet univers arcanepunk où la magie a remplacé la technologie, on retrouve des thématiques dixneuvièmistes avec des usines polluantes, l’exploitation des masses, la lutte des classes, les guerres coloniales…

L’auteur nous balance un chouia trop rapidement son vocabulaire spécifique donc explication de texte (et je passe sur le contrecoup / le loi de l’équivalence de la magie qui rappellera de bons souvenirs aux lecteurs / spectateurs de la saga Fullmetal Alchemist) :

Adeptes = ce sont les cultistes des Rois des Profondeurs, de pauvres hères convaincus que ces derniers sont des dieux et qu’il faut mieux être avec eux que contre eux

Promises = ce sont les recruteuses des Rois des Profondeurs, et elle fonctionne comme des démones de Slaanesh dans les univers Warhammer

Favoris = ce sont les agents spéciaux des Rois des Profondeurs, des sorcier ayant subi une reconstruction leur offrant des pouvoirs effrayants contenus dans un corps aussi contrefait que monstrueux

– Rois des Profondeurs = les leaders du camp des « méchants millénaires » ont peut-être ont-ils été humains un jour, mais rien n’est moins sûr. Autant Roi-Sorciers que Rois-Démons, ils ont été engloutis sous les océans il y a 1000 ans et ils ont un côté lovecraftien parfaitement assumé ! On pense tout de suite aux Asservis de Glen Cook, mais c’est on parle ici de maîtres et non d’esclaves et c’est plutôt au Dominateur et à son Prédécesseur enfermé dans un arbre dans la Plaine de la Désolation qu’il faut penser (la boucle est-elle bouclée ?)

Talents = ce sont des sorciers mineurs qui filent la lumière des trois lunes pour remplir des réserves d’énergie à usage civil ou militaire au sein de l’Alliance, car personne n’est assez puissant pour tisser directement la lumière du soleil (à part peut-être la Dame de Lumière, mais je suis dangereusement en train de spoiler)

Fileurs = ce sont des sorciers majeurs de l’Alliance qui en groupes parviennent à tenir tête à un Favori, à condition de ne pas trop tenir à la vie

Sans-Noms = ce sont au sein de l’Alliance des enchanteurs, des sorciers tellement puissants qu’il ont accédé à l’immortalité et qui se gardent bien de dévoiler les secrets qui leur ont permis d’accéder à leur statut particulier (ce n’est pas Aède qui me contredira, lui qui fut cruellement et mortellement puni pour avoir voulu démocratiser l’usage de la magie, ou Saravor à la fois Frankenstein et Créature de Frankenstein qui se sert de similis Favoris comme batteries et amplificateurs, un chouette concept que j’avais déjà vu dans un roman de Dan Abnett pour la franchise Warhammer 40000)

– Un individu peut toujours être tué. Une idée est plus difficile à éradiquer.

Cela plaira ou déplaira, mais la narration à la première personne suit tous les codes du roman Hard Boiled de Dashiell Hammett et de Raymond Chandler : on peut penser à la série Garrett de Glen Cook (et oui encore lui) et Basse-Fosse de Daniel Polansky… Noir c’est noir il n’y a plus d’espoir : les faibles sont exploités par les forts, les puissants roulent des mécaniques mais guettent les premiers signes qui pourraient être défavorables pour être les premiers à quitter le navire (puissances totalitaires, élites pas claires, Vieux Continent, Nouveau Monde… vous voyiez où l’auteur veut en venir ?). 

Nous sommes dans le pamphlet au vitriol contre les élites qu’elles soient nobles ou bourgeoises, aristocratiques ou démocratiques : sorties du même moule élitiste, elles sont toutes aussi corrompues et décadentes les unes que les autres ! Donc on a un antihéros plus désabusé que cynique, plus blasé qu’amoral et peu à peu on découvre son passé : autrefois il faisait partie de la noblesse et une belle carrière l’attendait dans l’armée, mais il a tout perdu lors d’un drame, à commencer par sa femme et ses enfants, avant de changer de nom et rechercher l’oubli dans l’alcool… On découvre également les secrets de Dame Ezabeth Tanza, et roman Hard Boiled oblige l’antihéros a beau dire que le monde est pourri et que c’est chacun pour sa gueule il accompagne la demoiselle en détresse jusqu’au bout de sa quête de vérité au point d’être dans le dernier carré quand la métropole frontalière capitale Valengrad est rattrapée par ce grand merder qu’est la guerre totale (remember Les Fantômes de Gaunt de Dan Abnett, oui encore lui)… C’est frustrant qu’on enquête à l’arrière tandis qu’on meurt en masse au front, mais le final est epicness to the max ! Car Dame Ezabeth Tanza est persuadée que l’arme absolue de l’Alliance ne marche plus, et que les puissants comptent sacrifier la population pour couvrir leur fuite après l’avoir exploité de manière éhontée : elle serait poursuivie par les agents ennemis pour la faire parler, et poursuivie par les collabos et les traîtres pour la faire taire ! Mais rien n’est moins sûr car nous sommes dans un partie de poker menteur entre les Sans-Noms et les Rois des Profondeurs, chacun essayant de bluffer l’autre, de l’intoxiquer pour mieux le manipuler et mieux le piéger… C’est la guerre psychologique si chère aux services secrets ! blink

Un premier roman aussi abouti c’est assez rare (et je vous conseille de faire un détour par la critique du camarade Apophis pour bien le comprendre) : j’ai carrément adoré, mais désolé je ne lâcherai pas la 5e étoile à cause de petits trucs qui se sont accumulés au cours de lecture…
– les concepts amenés très tôt dans le roman, mais presque toujours explicités à posteriori
– pourquoi qualifier Herono de « prince » alors qu’il s’agit d’une femme ? C’est pénible à la fin
– il y a un traître haut placé à Valengrad, et comme par hasard l’un des rares personnages sur lequel on s’attarde est un ancien héros de guerre qui s’est miraculeusement échappé des geôles ennemies ^^
– on parle parfois du Cœur du Néant et parfois du Cœur du Vide… erreur de relecture ?
– le narration à la première personne nous met naturellement à distance des personnages secondaires, qui pourtant on un sacré potentielle comme Nenn la Calamity Jane folle furieuse ou Tnota l’Oscar Wilde indigène décomplexé, mais il est arrivé plusieurs fois que soit nommés des personnages qui n’ont jamais été présentés et qui ne seront jamais présentés… erreurs de relecture ?
– la fin part dans tous les sens et entre l’épidémie de résurrections de personnages dont parfois on a peine entendu parler, l’enchaînement des twists à quelques pages d’intervalle et des scènes de combats magiques un peu WTF c’est un peu too much hein…
Je suis presque un peu trop sévère car ce premier roman offre tellement de promesses ! C’est une série mais on peut parfaitement le considérer comme un stand alone. Toutefois la dernière page offre encore plus de promesses : nous sommes dans une guerre mondiale et totale dont le Cordon n’est qu’un front parmi d’autres (jurisprudence Steven Erikson), mais surtout au fond de la Boîte de Pandore il reste l’Espoir désormais incarnée par la Dame lumineuse… Une déesse de colère et de miséricorde est née, et ça va chier pour les bad guys et les crevards ! Oh Yeah !!!

 

PS :Qu’en disent les blasés d’en face ? Les traditionnels sous-entendu péjoratifs contre l’éditeur contre lequel ils ont une dent pour les raison que l’on sait, les traditionnels sous-entendu péjoratifs sur la fantasy épique pour les raisons que l’on sait, mauvais rythme, personnages forcés, passages outranciers, détours inutiles, style neutre, ensemble sans génie… Et ben heureusement que cela n’est « pas aussi décevant que d’habitude » hein… (Et je passe sur la clique qui se réjouit de détenir la vérité contrairement aux teubés qui ont aimé)

note : 8/10

Alfaric

Parce que notre avis n’est pas le seul qui vaille, quelle note mettriez-vous à cet ouvrage ?

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