Sylvain Runberg  (scénario)
Jae Kwang Park (dessin)
d’après R.E. Howard

Conan le Cimmérien, tome 8 : Le Peuple du Cercle Noir

Bande dessinée, fantasy  / heroic fantasy
Publiée le 20 novembre 2019 chez Glénat

Au royaume de Vendhya, alors que le roi vient de mourir terrassé par les sortilèges des prophètes noirs de Yimsha, sa sœur, Yasmina, décide de le venger… Elle décide, pour s’en charger, de prendre contact avec Conan, alors chef de tribu afghuli. Mais tandis que plusieurs de ses guerriers viennent d’être tués par les hommes du royaume de Vendhya, celui-ci a d’autres plans en tête. La princesse croyait pouvoir se servir du cimmérien, c’est plutôt elle qui servira ses intérêts…

R.E. Howard adorait les récits noirs où tout le monde trahissait le monde. Il aurait pu se perdre en soaps nobiliaires en je ne sais pas combien de tomes de complots et d’intrigues, mais il est resté dans le cadre du récit d’action et d’aventure : même si Le Peuple du Cercle Noir est l’un de ses récits les plus longs, il reste très court à l’aune de la fantasy d’aujourd’hui…

Donc dans Le Peuple du Cercle Noir nous suivons des trahisons en série qui s’entremêlent les unes et les autres : Bhunda Chand de Vendhya est trahi par Yezdigerd de Turan, Yezdigerd de Turan est trahi par le maître des prophètes noirs qui joue au « kingmaker » comme naguère le Le Vieux de la Montagne grand chef de la Secte des Assassins, et le maître est trahi par son apprenti (car toujours par deux les Sith vont)… Gitara qui a trahi sa maîtresse presse son amant Khemsa de trahir son maître, et Yasmina qui voulait manipuler Conan se fait manipuler par Conan, tandis que Kerim Shah agent turanien trahit son roi pour devenir roi à sa place ! On aurait pu se vautrer dans le grimdark martinien qui ne sert à rien avec du sexe, de la violence, de l’amoralité et de l’injustice, mais bien au contraire l’auteur déploie tout la palette des émotions humaines : oui tout le monde trahit, mais par amour ou par haine, par envie ou par jalousie, par fierté ou par ambition et qui ne sont prêts à tout et au reste uniquement par volonté de monter quelques marches de plus sur l’escalier du pouvoir dans l’espoir d’exploiter et d’écraser encore plus de monde…

R.E Howard adorait les récits de Talbot Mundy et Harold Lamb, et après s’être régalé en leur rendant hommage dans la saga El Borak il recycle son travail pour d’autres créations… La princesse Yasmina de Vendhya a mis fin aux jours de celui qui mourant qui était à la fois son frère et son roi, et elle est persuadée qu’il n’a pas été empoisonné mais ensorcelé. Sa vengeance sera terrible et elle prête à tout tuer le Maître de Yimsha ! Pour cela elle fait enlever sept lieutenants des pillards afghulis, et elle se déplace incognito à la frontière pour obliger leur chef à lui ramener sa tête. Sauf que ce chef c’est Conan le Cimmérien, qu’il n’a ni Dieu ni Maître, et qu’il n’hésite par une seconde à l’enlever pour réclamer rançon selon ses propres termes.
Dans un 1ère partie pleine de rebondissements, Conan et sa prisonnière sont en cavale. Ils sont poursuivis par les Afghulis, les Iraksais, les Vendyaens, et Conan est toujours prêt à diviser pour régner en s’alliant avec les uns pour combattre les autres. Car en parallèle Khemsa et Gitara font tout pour leurs mettre des bâtons dans les roues et jeter de l’huile sur le feu. Ils forment des duos inversés : la bouillante Gitara influe sur le froid Khemsa alors que le bouillant Conan influe sur la froide Yasmina (deux personnages féminins de premier plan dans un récit d’action écrit en 1934 : il y a encore aujourd’hui des intellos élitistes pour taxer l’auteur de machisme et de sexisme, donc je ne sais pas s’il faut rire ou pleurer devant tant d’aveuglement et de stupidité !).
Dans une 2e partie le Maître de Yimsha siffle la fin de la récré, et court-circuite tout le monde pour se réserver la Devi de Vendhya. Conan et ses alliés forcément de circonstances se lancent à sa poursuite, mais traverser son domaine constitue une suite d’épreuve mortelles. Leur opération commando prend la forme d’une quête, et cette quête n’est étonnamment pas très éloignée de celle Lancelot dans Le Chevalier à la Charrette : Conan / Lancelot doit délivrer Yasmina / Guenièvre du Maître de Yimsha / Méléagant, et dans un territoire appartenant à « l’autre monde » le héros ici anti-héros doit résoudre des énigmes dont il ne peut triompher qu’avec les indices que son rival lui a laissé pour accomplir d’outre-tombe sa vengeance.
La fin est génialement ouverte : Yasmina et Conan promettent de se revoir pour régler leur histoire commune de rançon. La la froide princesse a au contact du bouillant prolétaire évolué, elle a décidé de devenir reine de ses propres mains, et elle ne précise par si elle veut le tuer, l’épouser ou repartir à l’aventure avec lui… (et pour ne rien gâcher la dernière page de la BD est d’une grande supracooltitude : et pan dans les dents des intellos élitistes d’aujourd’hui qui taxent l’auteur de machisme et de sexisme, et qui feraient mieux de se poser des questions en se regardant dans la miroir !)

[Yasmina] Je te dois toujours ma rançon. Je te paierai dix mille pièces d’or…
[Conan] Je viendrai chercher ma rançon à ma façon et quand je l’aurai décidé. Je viendrai la chercher à Ayodhya… accompagné de cinquante mille hommes afin de m’assurer que les plateaux de la balance sont équitables.
[Yasmina] C’est comme cela que tu l’entends, Conan ? Eh bien, qu’il en soit ainsi… Je viendrai à ta rencontre sur les berges de la Jhumda avec cent mille hommes et nous verrons alors ce qu’il adviendra !

Sylvain Runberg est excellent en scénariste de thriller, mais a bien souvent soufflé le chaud et le froid en tant que scénariste de fantasy. Je ne sais ici à quel point les plotmasters Patrice Louinet et David Morvan veillent au grain, mais toujours est-il qu’on est en face qu’une adaptation très réussie sur le fond. J’ai pesté qu’on le fait le fait que les phylactères soient un peu bavard avant de comprendre que c’était la seule manière de tout faire rentrer dans un stand-alone de 65 pages. Et c’est peut-être là que le bât blesse : le rythme est trépidant voire épuisant, donc peut-être qu’une adaptation en 2 tomes aurait été plus judicieuse…

Sur la forme, je suis persuadé que le travail du dessinateur coréen Jae Kwang Park va être très clivant. Moi qui suis un habitué de la Planète Manga j’ai trouvé tout ce qu’il faisait très cool, très fun et très original. Autant je suis dubitatif sur les auteurs occidentaux qui adopte un style oriental, autant j’ai toujours trouvé très intéressantes les collaborations entre artistes occidentaux et artistes orientaux. Car il y a toujours d’horripilants barbons perpétuellement en croisade contre « les conneries orientales en noir et blanc qui se lisent de droite à gauche qui ne sont pas foutues de faire comme tout le monde » : on ne peut plus rien pour ces cas désespérés de racisme et de xénophobie culturelles, donc on ne va pas s’appesantir sur leurs cas (les intéressés se reconnaîtront, j’ai plein de noms, et je suis très gêné pour ceux qui les soutiennent). C’est très fluide et c’est très dynamique, mais parfois il se perd en gimmicks « wu xia » (aka la low fantasy orientale) et « shenmo » (aka la high fantasy orientale), du coup il y a quelques scènes qui ne dépareilleraient dans la saga vidéoludique Dynasty Warriors. Le charadesign est très voire trop expressif, donc fatalement 2 ou 3 protagonistes semblent changer de morphologie selon leurs sentiments. Après entre des graphismes riches en crayonnés et une colorisation à 6 mains nippo-italiano-française, je ne suis pas loin de me demander si la version en noir et blanc n’aurait pas plus de gueule que la version en couleurs…

note : 7,5

Alfaric

Parce que notre avis n’est pas le seul qui vaille, quelle note mettriez-vous à cet ouvrage ?

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