Kentarô Miura
(scénario & dessin)

Gigantomachia

Manga, science-fiction / post-apo
Publié en VF le 15 juillet 2015 chez Glénat
Publié en VO en 2013 par la Hakusensha dans Young Animal (« ギガントマキア »)

Dans la mythologie grecque, la Gigantomachie narre la lutte épique des Dieux, menés par Zeus, contre la révolte des géants, frères des Titans et fils de Gaia. Dans ces récits, Zeus remporte la victoire en faisant notamment appel à Héraclès, car seul un humain pouvait battre les géants. Kentaro Miura, auteur du mythique Berserk, s’empare de cette légende et livre ici un récit similaire qu’il s’amuse à placer néanmoins 100 ans dans le futur. Delos, un ex lutteur, mené par Prome, une mystérieuse jeune fille, se voit transporté dans l’avenir afin de lutter contre les forces insectoïdes du géant Alcyon.

Waouh ! Le très talentueux Kentarô Miura, auteur du cultissime Berserk, se fait plaisir et nous fait plaisir en nous offrant un manga indépendant qui mélange science-fiction post-apocalyptique et mythologie grecque, le manga Nausicaä d’Hayao Miyazaki et le film Pacific Rim de Guillermo del Toro, mais aussi des monstres en veux-tu en voilà avec le merveilleux monde du catch (german souplex ! marteau-pilon !! saut de l’ange !!!). Un standalone géant, mais ce n’est qu’un standalone et c’est bien dommage (l’auteur en racontant ici en un seul tome que plus la plupart de ses collègues en des arcs entiers).

Le mangaka dont le talent n’est plus à prouver s’éclate grave : hommes-scarabées, femmes-serpent, insectes géants, kaijus monstrueux et horreurs lovecraftiennes dont il a le secret et Gohra un mécha d’anthologie !!! Il nous fait faire un bond en avant de 100 millions d’année, et c’est à travers les yeux ue grand Délos et de la petite Promé qu’il nous raconte les dernières heures des Karabos, le peuple du désert qui vit en symbiose avec son environnement, pourchassés par les forces de l’Olympe et menacé d’extinction (inutile de vous dire que l’auteur tire à boulet rouge sur l’impérialisme et le colonialisme si chers aux élites autoproclamées de mes couilles). Pour eux, il n’est plus temps de savoir s’ils peuvent l’emporter, mais de montrer à quel point ils sont déterminés à mener un dernier combat pour ne pas rejoindre les limbes de l’Histoire sans lutter. Et contre toute attente, le miracle survient :

Une fournaise qui jaillit… Le tonnerre qui gronde…Une silhouette géante fendant la terre et se dressant vers le ciel… Les mythes des temps anciens viennent de renaître !

Les Karabos doivent faire un choix : la rancœur du passé ou la bonne nouvelle du futur ? La vengeance ou la survie ? Périr ou s’unir, une maxime maintes fois utilisée certes mais ma foi toujours d’actualité (et même peut-être plus que jamais). Que disait Martin Luther King déjà ? « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots ! » (et nous mourrons peut-être tous avec le nouvelle crise économique en 2020, avec la crise écologique de 2050, ou avec l’extinction totale des ressources vers 2500)
Qui sont Promé et Délos ? D’où viennent-ils ? Où vont-ils ? Que veulent-ils ? Nous se saurons jamais si Promé est une déesse, une extra-terrestre, une post-humaine ou une super-androïde, et encore moins quand et comment Délos a quitté les arènes de l’Olympe pour l’accompagner dans sa quête des morceaux de gaïa… Ah ça, on sent bien l’héritage de R.E. Howard, que l’auteur ne connaît que trop bien, vu qu’ici on opte pour une narration et une caractérisation qui laissent planer une grande part de mystère (et le flashback de l’arène, c’était un pur shoot de Sword & Sorcery : quel kif pour un amateur de fantasy comme moi !). On devine que Promé est l’héritière de Prométhée, celui qui entre les dieux et les humains a pris le partis des faibles contre les puissants, et que Délos est l’héritier d’Héraclès, celui qui mis sa force divine au service du genre humain quitte à encourir le courroux divin. Ils arriveront à temps pour sauver la tribu des Karabos, mais arriveront trop tard pour sauver celle des Nagas… Nous n’assisteront finalement dans ce tome qu’à l’une de leurs étapes sur leur long chemin pour réconcilier Mu(tants) et Hu(mains).

Sur le fond Kentarô Miura parvient à créer en 200 pages un univers plein de démons et de merveilles dans lequel on aimerait voyager avec ses héros des heures durant. Sur la forme, les dessins de Kentarô Miura relèvent de la perfection graphique, son choc des titans envoyant ad patres tout ce qui a été réalisé auparavant (Icaros Fall !). Gigantomachia pourrait être l’équivalent SF de Berserk (qui lui-même est la transposition médiévale-fantastique en 66 tomes du cultissime Devilman), et l’auteur pourrait être le nouveau Gô Nagai, mieux le nouveau Shoraro Ishinomori, révolutionnant tous les genres à lui tout seul… Mais c’est un mangaka de l’extrême, jamais satisfait de son travail et qui n’hésite pas une seconde à reprendre ses planches de zéro à la moindre imperfection…
Toutefois il est clair que l’humour japonais est déciment parfois hermétique aux non-japonais car ici n’ai pas trouvé drôles les blagues en dessous de la ceinture concernant la lolita androïde. Soupirs. Tant mieux ou tant pis, néanmoins cela a failli gâcher mon kif. Mais décidément Kentarô Miura est l’un des meilleurs mangaka de tous les temps…

Mais mais attendez, Prométhée délivré accompagnant Héraclès qui réalise de nouveaux douze travaux non pour l’Olympe mais pour la Terre, ce ne serait pas le 3e et dernier acte de la plus grande tragédie du monde : dans la Titanomachie les dieux se débarrassaient de leur prédécesseurs, dans la Gigantomachie les dieux se débarrassaient de leurs encombrants alliés, et pour les élites autoproclamées de la ploutocratie mondialisée la lutte des forces de l’ordre incarnées par Zeus et les forces du chaos incarnées par Typhon est la suite normale des choses avec la mise au pas de l’odieuse populace… Mais pour les êtres humains la suite normale des choses c’est sans doute la théomachie où pour s’offrir un avenir les hommes sont obligés de l’arracher aux dieux. !
En 133 av. J.-C. Tiberius Gracchus propose une loi agraire prévoyant de limiter la propriété individuelle pour distribuer aux citoyens pauvres les terres non cultivées dont les nababs qui ne savaient plus quoi faire. Les ploutocrates libéraux et libertariens  le font assassiner en toute impunité. En 124 av. J.-C. Gaius Gracchus reprend le combat de son frère aîné, et il se retrouve traqué comme un chien après que les ploutocrates libéraux et libertariens aient mis sa tête à prix… Ce n’est pas la fin, mais le commencement de la lutte des classes et après plus de 2000 années rien n’a vraiment changé : il faut se battre pour empêcher que dans son aveuglement le Grand Capital ne libère encore de ses chaînes fois la Bête Immonde !

 

PS : je suis quand même vénère contre les prescripteurs d’opinion ayant pignon sur rue qui traitent de tâcheron l’un des mangakas les plus doués de sa génération. Ne rien connaître en SF, ne rien connaître en mythologie, être incapable de faire le lien avec le chef-d’œuvre réalisé par la légende vivante Hayao Mizayaki, pour ensuite écrire sur tout le World Wide Web qu’il s’agit d’un manga scénaristiquement creux et graphiquement fouillis, c’est zéro pointé niveau stricte crédibilité. C’est chroniqueurs sur des sites de références, mais ça n’a pas plus de bon sens qu’un darksasuke69 : c’est triste…

note : 9/10

Alfaric

Parce que notre avis n’est pas le seul qui vaille, quelle note mettriez-vous à cet ouvrage ?

 
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