Hope Mirrlees

Lud-en-Brume

Roman, fantastique
Publié en VF le 10 octobre 2015 chez Callidor
Publié en VO en 1926 (« Lud-in-the-Mist »)

Aux frontières de la Faërie, Lud-en-Brume est une cité prospère et paisible. Mais les secrets hérités du royaume voisin ne sauraient rester indéfiniment dans l’ombre. Les fruits féeriques, drogue nocive et bannie de la société luddite, circulent dans la région. Ranulph semble en être victime, et son père, le Maire Nathaniel Chantecler, qui faisait jusqu’à maintenant régner la Loi d’une poigne molle et tranquille, se doit bientôt de faire l’impensable pour sauver son fils et sa cité. Mais heureusement pour Lud-en-Brume, Nathaniel est doté d’un esprit des plus pragmatiques… et d’une tête dans la lune.

La petite structure Callidor lance sous la direction de Thierry Fraisse la collection « Âge d’Or de la Fantasy »… Vous pensez bien que je me devais d’être de la fête ! Après Harold Lamb qui apportait une touche d’imaginaire à l’aventure historique, et Abraham Merritt qui piochait à parts égales dans les mythes et les sciences, voici Hope Mirrlees, très joliment traduite par Julie Petonnet-Vincent, qui elle mélange en 1927 récits folkloriques et récits victoriens pour aboutir à du réalisme magique de terroir… Un très beau texte assurément, mais pas de bol c’est tout ce qui ne me parle pas en Fantasy si cela appartient bel et bien à la Fantasy (le débat est ouvert mine de rien).

 

Le récit se déroule au pays de Dorimare, allégorie de la vieille Angleterre, qui depuis la prise de pouvoir de la bourgeoisie sur l’aristocratie a rompu avec la Féerie, allégorie des pays celtiques (Pays de Galles, Écosse, Irlande). Évidemment, ce n’est pas un hasard si le dernier dirigeant du pays, le Duc Aubrey, est un homonyme d’Oberon le roi des fées…
C’est une prose à l’ancienne, pleine de merveilleuses descriptions de tout et de rien, de délectables digressions sur tout et sur rien, merveilleusement écrites certes mais un peu désuètes… J’avoue sans honte avoir lu en diagonale, car aussi habile soit cette jongleuse de mots, à un moment il fallait bien raconter quelque chose ! (les lecteurs se souviendront des premiers chapitres du Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien, qui nous brossaient un portait de la gentry hobbite de la Comté, qui n’avait aucune incidence sur la suite du récit )

Et qu’est-ce qu’on nous raconte au bout d’une longue phase d’exposition ? Le pays de Dorimare est atteint par un trafic de bariolés fruits féeriques aux redoutables effets psychédéliques (allégorie de l’opium d’où la présence de quelques scènes tenant du trip sous acides) Tant que cela ne touche que les classes laborieuses, les autorités ne voient pas la nécessité d’intervenir, mais quand c’est la progéniture de la haute société qui est touchée c’est alors le branle-bas de combat. Après l’intoxication de son fils puis la disparition des adolescentes du pensionnat Primevère, le Haut Sénéchal Nathaniel Chantecler investigue à tour de bras officiellement puis officieusement (son rival de toujours, Polydore Vigil, ayant profité des événements pour l’évincer : ah, les homines crevarices…).

On entre alors dans une policier anglais à l’ancienne, quelque part entre Sir Conan Doyle et Agathe Christie sauf que comme on est loin de l’un et de l’autre en terme de qualité polaresque, je n’ai pas arrêté de penser aux vieux épisodes de Perry Mason… Car j’ai trouvé ça mal construit, voir mal écrit : on passe du trafic de drogues elfiques à un meurtre rural à la Barnaby, et la manière dont s’enchaînent les découvertes ne soutient pas la comparaison avec la concurrence.

J’aurais bien vu le fils et le père enquêter chacun de leur côté avant de se retrouver et de faire les liens, ou les investigations du père rebondir après les découvertes du fils. Oui mais non, ici c’est l’option deus ex machina qui a été choisie (genre les éclairs de génie du Dr House).

Pour les rêveurs dont l’imagination bouillonne, c’est toujours une véritable aventure que d’arpenter un sentier ombragé. On y entre assez audacieusement, puis on ne tarde pas à le regretter, car ce n’est pas l’air mais du silence que l’on y respire, le silence palpable des arbres. Et cette percée ténue, loin devant, est-ce là l’unique sortie ? Mais comment diable peut-on se glisser là-dedans ! Il faut faire demi-tour… trop tard ! Le gigantesque portail par lequel vous êtes entré n’est plus, lui aussi, qu’une petite ouverture.

En désespoir de cause, l’ex Haut Sénéchal s’aventure dans les Défilés Elfiques pour retrouver les disparues, puis pénètre en Féerie pour sauver son fils. Les véritables enjeux du récit, la réconciliation de l’humanité et de la féerie, donc celle du prosaïsme du quotidien et de la fantaisie de la rêverie, n’interviennent donc que dans les derniers chapitres du roman… C’est un joli message, d’ailleurs à partir du même fil conducteur (l’irruption de la couleur dans la grisaille du quotidien) Gary Ross réalisera en 1998 un plus plaisant Pleasantville
Du coup le roman est à comparer avec le classique de Lord Dunsany, La Fille du roi des elfes, qui traite lui aussi des rapports entre humanités et féerie.

Mais l’auteur n’échappe aucunement aux préjugés de son temps quand on voit son allégorie sur la lutte des classes, avec une contestation populaire menée par un escroc aux yeux vairons (un changelin ?), un voyou nommé Levil (humour ?), un prolétaire nommé Sébastien Brute (humour ?) et une pute nommée Marie-couche-toi-là (humour ?)… D’ailleurs elle est bien emmerdée pour nous expliquer les motivations des agents du changement, puisque que le grand monologue du méchant est assez bizarre, voire cryptique, et qu’on ne saura jamais rien de son collègue trickster à l’œuvre entre Dorimare et Féerie… Et puis ça et quelques bons vieux passages explicites sur le rôle des femmes qui doit se cantonner à celui d’épouse (broderie, bibelots, potins…). Autre époque autres mœurs certes, mais pas sûr que cela ait véritablement changé depuis lors dans la haute société toujours pleine de mépris pour le peuple comme le montre si cette saloperie de Macronie !

 

Désolé de ne pas mieux vendre le roman, mais avec mes goûts et mes couleurs je n’étais pas le mieux placé pour en parler en bien (les interminables passages sur les us et coutumes de la bourgeoisie, ça me gonfle ô combien !). La phylogénie du genre Fantasy est riche et diversifié, du coup c’est intéressant de lire cette œuvre fondatrice (dont sauront s’inspirer Neil Gaiman dans Stardust et Susanna Clarke dans Jonathan Strange et Mr Norrell), qui incarne magnifiquement l’une des nombreuse voies empruntées par la Fantasy, ici celle du merveilleux féérique… Car non, la Fantasy ne naît pas en 1937 avec Le Hobbit de Tolkien qui après les folkloristes victoriens se serait inspiré uniquement des légendes médiévales et des mythes antiques (bullshit : voir ma critique des Habitants du mirage d’Abraham Merritt, et de toutes celles que j’ai réalisée sur les œuvres de R.E. Howard pour ne citer que lui).

L’imprimeur lithuanien Standartu Spaustuve a réussi à nous offrir un libre-objet d’un très appréciable rapport qualité/prix, et les illustrations d’Hugo Fauconpret, bien qu’éloignées des créations d’Arthur Rackham ou des créatures de la Duboisie, apportent un joli plus… Cela me navre au plus haut point qu’en termes de qualité de travail une Small Press se place bien au-dessus des gros éditeurs dont on taira les noms par pure charité chrétienne.

note : 6/10

Alfaric

Parce que notre avis n’est pas le seul qui vaille, quelle note mettriez-vous à cet ouvrage ?

 
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