Vincent Mondiot
& Raphaël Lafarge

Les Mondes-Miroirs

Roman, fantasy / dark fantasy
Publié le 28 août 2018 chez Mnémos

Elsy et Élodianne ont grandi dans les rues crasseuses de Mirinèce, vaste cité à l’ombre des Arches, une architecture titanesque qui enjambe les pays et relie les métropoles. Pourtant, leurs chemins se sont éloignés. Devenue magicienne, Élodianne officie désormais pour le gouvernement. Quant à Elsy, à la tête d’une agence de mercenaires, elle navigue en eaux troubles. Mais lorsque les blasphèmes, d’atroces créatures, émergent des mondes miroirs et se déchaînent sur la capitale, les deux femmes n’ont d’autre choix que d’unir leurs forces pour mener l’enquête. Face à la menace, elles découvriront combien elles ont changé, et jusqu’où elles pourront aller… Car le sort de Mirinèce est en jeu.

Les Mondes-Miroirs est la version 2.0 de Teliam Vore, roman autrefois sorti chez Pygmalion qui comme chacun le sait plante toutes ses séries car leur seule ambition est de devenir rentier en gagnant le maximum de pognon avec les livres de GRR Martin et de Robin Hobb… Vincent Mondiot et Raphaël Lafarge (sans oublier leur complice illustrateur Matthieu Leveder) sont des rôlistes expérimentés qui appartiennent à ce vivier d’amoureux des genres de l’imaginaire qui ont fait naître et développer les genres des l’imaginaire en France (contrairement aux bobos hispter qui ne jurent que par le style et qui font un petit tour dans les genres de l’imaginaire, souvent en littérature jeunesse d’ailleurs, et puis s’en vont étaler leurs états d’âmes dans des autofictions nombrilistes et / ou se pavaner avec des machins postmodernes incompréhensibles en dehors des petits cercles intello prout prout onanistes). Ils ont ainsi construit l’univers des Chimères de Mirinar qui sert de socle à ce roman…

Le worldbuilding est très intéressant. L’État des Arches est une superpuissance construite sur les incompréhensibles réalisations cyclopéennes d’un civilisation disparue : au centre des ponts suspendus à plusieurs milliers de mètres d’altitude menant à Loffrieu, Aurterre, Hurquoine, Lazirac, Carnadon, Atépéha et la Mer Pâle, la capitale de Miricène est une métropole de 2 millions d’habitants trônant au beau milieu des nuages et constamment sous la pluie (Londres, Paris, Vienne : faites votre choix). L’habillage médiéval-fantastique disparaît bien vite devant des thèmes dixneuvièmistes pleins d’aménagements urbains dépassés, de services municipaux désuets et d’usines complètement délabrées (du coup on a des faux airs de la franchise vidéoludique Dishonored) : entre capitalisme, colonialisme et impérialisme, tout allait pour le mieux jusqu’au jour où il y a 30 ans l’Arche de Loffrieu s’est effondrée, ouvrant la porte à des horreurs lovecraftiennes venant déformer la réalité. Depuis c’est l’état de siège, et tout le monde est en quarantaine pour éviter la fin du monde biologique. Sauf qu’entre-temps, la révolution a eu lieu et que les héros prolétaires Damnis Ocreste, Salven Corbès et Teliam Vore ont pris le pouvoir. Mais plus les choses changent et plus elles restent les mêmes : les héros blasés et désenchantés ont été avalés par le système, l’aristocratie a été remplacé par la bourgeoisie, la théocratie a été remplacée par la technocratie, et les riches des beaux quartiers sont toujours riches tandis que les pauvres des bas quartiers sont toujours pauvres (refrain que trop bien connu). Bref c’est toujours le même Monde De Merde pour les uns et pour les autres à cause du TINA reagano-thatchéro-macronien (que leurs thuriféraires aillent tous et toutes aux enfers, puisque de toutes les manières une place leur a déjà été réservée là-bas !)….
Le magicbuilding avec mages bacillaires, thermogène, miroitistes et matiéristes et tutti quanti est à l’avenant mais je vous laisse le plaisir de la découverte. Mais il faut quand même préciser pour être clair que plus les magos usent et abusent de leurs pouvoirs et plus ils mutent physiquement et psychiquement, d’où l’importance des rares miroitistes capables d’agir comme thérapeutes en les faisant passer de l’autre côté du miroir dans des univers de poche privés de magie pour soulager leurs maux et se refaire le cerise…

– La plupart des crétins qu’on s’apprête à retrouver pensent que je ne m’intéresse qu’au fric. C’est faux. Je m’intéresse au succès. À la victoire. Je ne suis pas là pour devenir riche. Je suis là pour devenir une légende des quartiers ouest. De cette ville de merde. Je suis là pour devenir une héroïne.

L’idée majeure du roman et qui loin d’être assez développée c’est qu’on suit en parallèle Elsy et Elodianne (sœurs adoptives amies et/ou amantes) : la pièce rapportée a monté tous les échelons de la société pour changer les choses d’en haut mais qui elle ne fait que graviter autour des games of thrones du gouvernement central ; la fille naturelle est restée dans les bas quartiers pour changer les choses d’en bas et a fondée sa propre compagnie de mercenaires qui au départ se résume essentiellement au petit-gros Basilien Orlinde et au bronzé, musclé et longiligne Ohya Amdelin venu d’outre-mer (sans parler du POV d’Ocreste Damnis assisté de Latima la chef de police secrète). Les uns et les autres doivent affronter les attaques terroristes des monstres baptisés « blasphèmes », qui ressemblent à des shoggoths lovecraftiens. Bref, la révolution s’est radicalisée et comme d’habitude le peuple est le premier à en faire les frais… Et bien sûr le gouvernement central qui ne sait pas ce qu’ils sont, qui les commandent et surtout comment les combattre n’a rien de mieux à faire que s’adonner à la censure et de réprimer ceux qui ne la respectent pas…. « Le premier à dire la vérité sera châtié », et comme la Team Elsy prend beaucoup d’initiatives sous la direction d’une pomme pourrie, voilà nos antihéros prolétaires engagés contre leur gré dans une mission suicide aux côtés de tous les gros bras de l’armée, des services secrets, de la magiocratie et de la théocratie…

Le potentiel est fantastique, et je continue à croire en lui, mais il y a quelques défauts qui nuisent à l’ensemble et c’est pour le coup c’est sacrément frustrant !
– quand on nous présente les principaux antagonistes de l’intrigue, j’ai failli jeter le livre par terre… Oh non, on dirait les magiciens branlous et imbus d’eux-mêmes de Lev Grossman, ces ados frustrés et colériques, intellectuellement en avance et émotionnellement en retard, persuadés d’être l’aboutissement final de l’humanité… Ils sont tous plus imbuvables les uns que les autres et je n’arrive pas à les prendre en pitié en tant que cobayes des différentes factions qui se disputent le pouvoir…
– le grand final est long voire très long, car on délaye plus ou moins fortement la chose vu que que chaque vilain a droit à son droit de quota de flashbacks à effets retardés qui durent des pages et des pages ce qui gâche peu ou prou l’epicness de l’ensemble qui aurait dû être plus équilibré (voire plus haut sur la relation Elsy / Elodianne) et davantage consacré au relationship drama des Douze Salopards ou à l’évolution de la Créature de Frankenstein…
– les auteurs ont voulu moderniser le langage pour coller à leur univers quasi-industriel (tabac, cigare, cigarettes, thé, café, drogues diverses et variés), mais si c’était pour placer des « connasses », « pétasses », « grognasses » et « pouffiasses » à tout bout de champ ce n’était pas la peine…

Comme toujours le livre-objet réalisé par les éditions Mnémos est soigné, avec l’illustration de couverture de Qistina Khalidah, et les illustrations intérieures de Matthieu Leveder qui plus nombreuses auraient presque pu nous offrir un light novel à l’européenne… L’univers arcanepunk de Vincent Mondiot et Raphaël Lafarge n’est pas si éloigné que cela des univers New Weird de Steph Swainston et China Miéville : c’est con, à tout cela j’attends une suite maintenant !

note : 7/10

Alfaric

Parce que notre avis n’est pas le seul qui vaille, quelle note mettriez-vous à cet ouvrage ?

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