Charlotte Bousquet

L’Archipel des Numinées

tome 3 : Matricia

(pour public averti)

Roman, fantasy / dark fantasy
Publié en novembre 2011 chez Mnémos

Dans les ruines de Lysania, capitale de Matricia dévastée par la peste cendreuse, une magicienne et un sorcier, derniers rejetons d’une lignée maudite s’affrontent au jeu du Destin. Pour chaque lame de tarot tirée, un souvenir ressurgit du passé, composant carte après carte la tragique histoire d’une vengeance familiale. Au fil des arcanes, Dionisia, bâtarde métisse des Tengelli, et Alino, son oncle, dressent le tableau effroyable d’un clan d’assassins et de manipulateurs. Pendant ce temps, le nécromancien Angelo di Larini cherche sur les terres ravagées de Matricia le moyen de contrer le mal qui ronge l’Archipel des Numinées.

Avec ce tome 3 intitulé Matricia, on est toujours dans un archipel italianisant quelque part entre la Renaissance et le Risorgimento, et on est dans le romantisme noir quelque part entre Edgar Allan Poe et Charles Baudelaire où tout est dorure ou pourriture. Et on y raconte la chute de la famille Tengelli à travers les yeux des derniers survivants, Alino le maudit revenu d’entre les morts et Dionisia à la fois « espoir » et « fléau » des siens. C’est grosso modo les Borgia Dark Fantasy et entre sexe et violence Charlotte Bousquet en rajoute pas mal de couches dans le sordide (genre l’anti-héroïne qui séduit sa belle-mère avant de coucher avec son père, le tout après tué son nouveau-né). Sauf que la légende noire de la famille hispano-italienne a marqué les esprits par qu’elle était la favorite du game of throne pontifical à une époque troublée où les États Pontificaux comptaient bien être la première principauté de la péninsule italienne, alors qu’ici on peine à comprendre pourquoi la famille des Tengelli serait l’ombre derrière le trône à Matricia…

Tout commence avec Angelo qui a réintégré l’Ordre de la Nouvelle Lune, et qui est en mission de reconnaissance à Matricia conformément aux directives de son défunt mentor Orféo. Il débarque en pleine apocalypse zombie, et sa mission finit rapidement par passer après sa propre survie. Sauf que tout cela est vue à travers le bout de la lorgnette en interludes ! En plus, le grand secret d’Angelo nous est balancé directement au début du roman alors qu’il aurait été bien utile pour comprendre le tome précédent : s’il a auparavant été renvoyé de son ordre, c’est pour avoir entretenue une liaison avec une créature de la nuit (du coup on peut éventuellement comprendre qu’il ait laissé Nola vivre sa romance avec Malatesta)…

Ensuite ce tome 3 est censément être centré sur l’opposition entre Alino Tengelli qui se pose en champion du Grand Ancien Kebahil, et Dionisia Tengelli sa nièce qu’il accuse d’être la championne de la Triple Déesse. Cela se traduit par un duel de flashbacks, mais duel est un bien grand mot car les POVs sont déséquilibré au possible…
D’un côté Charlotte Bousquet passe assez rapidement sur les jérémiades de son passe-plat, qui dans un style expressionniste très célinien ne cesse de geindre et de se plaindre. Oui son destin est tragique, puisque sa famille fait disparaître sa fiancée enceinte la veille de leur mariage pour lui faire épouser une cousine et passer un pacte avec le démon Ruben au nom du plus grand bien. Mais que fait-il à part pousser du haut d’un falaise son épouse mal aimée comme n’importe quel mari blasé d’un cosy mystery à la Agatha Christie, et brûler vive les nonnes qui l’ont recueilli après sa disparition pour prouver que la Triple Déesse n’existe pas ? Il devient l’agent de Kebahil exactement de la même manière que le pauvre bougre du tome précédent avec un Grand Ancien qui lui promet la résurrection de l’être aimé… Du coup son rôle se résume à pisser dans les ruisseaux pour répandre la maladie donc la malédiction (mais il aura à Azzura permis à la mère de Dionisia d’échapper à la famille, et finalement il n’aura peut-être servi qu’à cela)…

Aurore boréale et australe
Elle tiendra dans ses mains
Les trois fils du Destin
La plus brillante des Etoiles
Scintillant dans le soir
Des Tengelli le fléau ou l’espoir.

D’un autre côté c’est dans un style impressionniste très Rimbaud et Verlaine que Charlotte Bousquet s’attarde sur le moindre état d’âme de sa Mary Sue métisse, bisexuelle et animaliste, avec des flashbacks, des flashbacks à l’intérieur des flashbacks, et des rêves, des visions et des hallucinations à n’en plus finir au sein des uns et des autres… Vous suivez ? Car oui on suit tout cela sans aucun ordre chronologique (bien qu’il y ait un minimum de linéarité quand même). Pour ne rien gâcher on retrouve les problèmes des tomes 1 et 2 :
– un nombre incroyable de personnages que le dramatis personnae ne parvient qu’à effleurer alors que la plupart d’entre eux ne servent que d’éléments de décor (c’est quand même à quelques pages de la fin qu’on finit par comprendre que deux principales connaissances de Dionisia sont frères et sœur)…
– une magie à géométrie variable très puissante quand il faut accélérer le rythme de l’intrigue et très faible quand il faut ralentir le rythme de l’intrigue, ce qui comme dans n’importe quel scénario mal ficelé apporte un nombre incroyable de questionnements voire d’incohérences…
Au final on survole tous les moments clés de l’intrigue (son apprentissage de la magie, la mort de son mentor, la manière dont elle a vengé sa mort, le secret partagé avec la belle Tessa, sa rencontre avec le beau Savino, la manière dont elle retrouve sa famille, la manière dont elle l’a infiltrée, et plus encore le pourquoi du comment de sa haine envers les siens qui la pousse à tuer son propre enfant). C’est quand même assez nul qu’on passe autant de temps dans la tête du personnage sans savoir le pourquoi du comment de ses agissements ! Rendez-nous Edmond Dantès !!!

Et j’ai gardé le meilleur pour la fin : il n’y a pas de fin (au tome comme au cycle) !
ATTENTION SPOILER Le dénouement est expédié : plus aucun effet de style alors qu’on en a eu des tonnes auparavant, on parle de shaman et de griot mais je ne sais pas pourquoi, Dionisia se la joue Corum Jhaelen Irsei car après avoir utilisé les âmes de la chasse sauvage pour tuer sa famille et les âmes sa famille pour tuer le démon Ruben, elle utilise l’âme du démon Ruben pour affronter Alino et Kebahil, et si on explique bien comment Angelo est arrivé à temps pour leur prêter main forte on n’explique en rien en quoi Dionisia avait besoin de lui. Si elle est une voyante suffisamment puissante pour manipuler le destin aussi loin dans l’espace et le temps, pourquoi elle ne voit jamais arriver les ennuis qui lui tombent dessus (d’ailleurs pourquoi elle n’est pas venue prêter main forte à Angelo et Nola dans le tome 2, cela aurait été beaucoup plus efficace) !!! FIN SPOILERS
La défaite d’Alino et de Kebahil n’est qu’un répit, pour vraiment vaincre le Grand Ancien il faut le pouvoir des trois (oui, comme dans Charmed), et si Théodora est la Vierge, et Dionisia la Mère, et faut encore identifier et recruter la Vieille… Donc j’imagine qu’il faudrait plusieurs tomes de plus à l’auteur, car d’un côté il faut retrouver et recruter la fille et d’un autre côté identifier et recruter la grand-mère. En plus Angelo qui s’est découvert la fibre paternelle par la grâce d’un deus ex machina n’est même plus de la partie…

Je me souviens de Robin Recht qui disait qu’il voulait faire de la BD mais qu’on voulait l’obliger à faire de l’Art, et qu’il ne comprenait pas pourquoi (ni même le concept d’ailleurs). Ici on fait de l’Art au lieu de raconter une histoire, et cela n’aboutit nulle part. Oui l’auteure a un talent fou, et oui elle a dû se couper les cheveux en quatre pour ciseler son style et y incruster poèmes, scènes de théâtre et morceaux d’opéra. Mais une trilogie bien construite apporte des réponses à chaque épisode, et chaque épisode a son importance en apportant sa pierre à l’édifice. Ce n’est pas la cas ici, et si Charlotte Bousquet s’était moins regardée écrire elle aurait bouclée sa série au lieu de laisser lecteurs et lectrices au milieu du chemin !

Je ne suis pas responsable éditorial, mais on aurait pu avoir Dionisia détruisant la famille Tengelli de l’extérieur puis de l’intérieur et Alino détruisant la famille Tengelli de l’intérieur, puis Dionisia et Alino s’affrontant mutuellement, car « il ne doit en rester qu’un », avant de s’apercevoir qu’en voulant détruire le fléau de la leur famille ils n’ont fait que le libérer. ATTENTION SPOILERS Car en plus c’est ça : on ne cesse de parler de la malédiction de la famille Tengelli, prix à payer pour pouvoir utiliser à satiété les pouvoirs du démon Ruben. Alors qu’en fait il n’y a aucune malédiction : Ruben fait tout pour fragiliser et traumatiser la famille Tengelli, pour pouvoir posséder ses membres et encore plus la fragiliser et la traumatiser au point de tous les tuer ou qu’aucun d’entre eux ne soit assez fort pour le maintenir en esclavage. FIN SPOILERS

note : 6-/10

Alfaric

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