Bernard Cornwell

Les Chroniques saxonnes, tome 03 : Les Seigneurs du Nord

Roman, histoire / moyen-âge
Publié en VF le 13 novembre 2019 chez Bragelonne
Publié en VO le 22 mai 2006 chez HarperCollins (« Lords of the North »)

IXe siècle. Uhtred, le fils dépossédé d’un seigneur anglais, a vaillamment repoussé aux côtés des siens l’impitoyable invasion viking. Désormais libéré de son allégeance au roi Alfred le Grand, mais sans terres ni titre, le jeune homme revient sur ses terres natales pour réclamer son dû. Or il ne peut compter que sur sa légendaire épée, car seuls un esclave et une nonne l’accompagnent. Et dans le Nord, le chaos, l’horreur et la trahison les accueillent, forçant Uhtred à se tourner de nouveau vers son ancien souverain…

Au bout de bientôt 1000 pages le narrateur Uhtred commence enfin à comprendre qu’il est stupide et arrogant en n’en faisant qu’à sa guise, le plus souvent en dépit du bon sens le plus élémentaire… Mieux vaut tard que jamais !
A tort ou à raison c’est pour la énième fois Uhtred enrage qu’on ne le reconnaisse pas donc qu’on ne le récompense pas à ce qu’il pense être sa juste valeur. Donc pour la énième fois il joue aux écureuils en planquant son butin avant de repartir à l’aventure et forger de ses propres mains ce qu’il pense être son destin. Et la notion de destin est très importante dans ce tome : à chaque fois que le narrateur pense triompher, c’est à travers un twist en forme de coup de poignard dans le dos que le destin le fait chuter ; à chaque fois que le narrateur pense sombrer, c’est à travers un deus ex machina en forme de coup de main que le destin l’aide à se relever…

Donc Uhtred n’a pas renoncé à arracher Bebbanburg des mains de son oncle Aelfric, et à tirer vengeance de Kjartan le Cruel. C’est tout naturellement qu’il revient dans le Nord et qu’il participe activement au games of thrones de Northumbrie : on nous décrit par le menu les alliances, les trahisons et les retournements de situations entre Aelfric retranché à Bebbanburg, Kjartan le Cruel retranché à Dunholm, Guthred basé à Eoferwic et Ivarr Ivarson revenant d’une campagne contre les Scots. Le destin a mis Uhtred sur la route de Gutherd qui est passé de roi à esclave avant de passer d’esclave à roi. Il est persuadé d’arriver à ses fins en servant ce dernier, donc il devient à la fois son conseiller et son bras armé bien qu’il soit « athée » alors que son patrons soit « dévot » (le joli minois de sa sœur Gisela n’étant pas étranger à la mise en sourdine de son arrogance, mais pas de sa stupidité).

Le destin fait faire à Uthred tout le tour de la Mer du Nord, et pour lui c’est une sacrée cure de modestie (et l’occasion de se faire de nouveaux amis et de nouveaux ennemis). C’est bien fait, mais j’ai déjà vu cela (et en mieux) dans Vinland Saga de Makoto Yukimura et le premier tome de La Mer Éclatée de Joe Abercrombie (les vrais savent), donc cela n’a pas eu sur moi tout l’effet escompté…
On a des oppositions entre envahisseurs et envahis, entre colonisateurs et colonisés, entre migrants et « de souche » (eux-mêmes anciens migrants), et entre païens et chrétiens… Elles traversent les lignes de front entre Vikings et Saxons, et elles viennent s’ajouter aux games of thrones féodaux où on écrase ses vassaux, où on élimine ses rivaux et à l’occasion ses égaux, en attendant l’occasion de trahir ses suzerains pour « devenir calife à la place du calife ». Tous les protagonistes du drame sont donc persuadés que leur destin est de fonder un royaume, d’unifier l’Angleterre et de conquérir les Îles Britanniques toutes entières car la Divine Providence les aurait choisi pour guider l’humanité. Mais on ne va pas se mentir les îles britanniques du IXe siècle c’est un peu le trou du cul de l’Europe à l’époque, donc l’équivalent actuel de la Libye ou de la Syrie, du Yémen ou de la Somalie… Aux games of thrones féodaux le roi Alfred s’en sort assez bien, et compte bien faire une nouvelle fois d’Uhtred l’agent de ses desseins. Le destin rebat donc les cartes, et un deus ex machina remet en selle le narrateur qui revient au Nord de l’Angleterre cette fois-ci accompagné de Ragnar ami d’enfance et frère d’arme (les deux compères experts en castagne étant missionnés par le roi du Wessex pour accomplir sa volonté). Et avec ou sans Guthred il compte bien finir ce qu’il a commencé… Dans sa quête de vengeance, à la tête de la Northumbrie il ne doit en rester qu’un !

– J’avais été élevé en chrétien, mais à dix ans, dans la famille de Ragnar, j’avais découvert les anciens dieux saxons qui étaient aussi ceux des Danes et des Norses. Et leur culte m’a toujours paru plus sensé que m’incliner devant un dieu venu d’une contrée si lointaine que je n’ai jamais rencontré personne qui y soit allé. Thor et Odin foulaient nos collines, dormaient dans nos vallées, aimaient nos femmes et buvaient l’eau de nos rivières ; cela faisait d’eux des voisins familiers. Et puis nos dieux ne sont pas obsédés par les hommes. Ils ont leurs propres querelles et histoires d’amour et semblent ne nous prêter aucune attention la plupart du temps, alors que le dieu chrétien n’a rien de mieux à faire qu’édicter des lois. Des lois, encore des lois, des interdictions et des commandements, et il a besoin de centaines de prêtres en robes noires et de moines qui s’assurent que l’on y obéit. Pour moi, c’est un dieu fort grincheux, même si ses prêtres prétendent constamment qu’il nous aime. Je n’ai jamais été assez sot pour croire que Thor, Odin ou Hoder m’aimaient, bien que j’espère parfois qu’ils m’aient jugé digne d’eux.

C’est bien écrit et bien documenté. C’est donc d’autant plus intéressant que c’est soigné. Mais le personnage principal qui nous raconte à travers le récit de sa propre vie l’histoire de son pays reste encore trop souvent antipathique. Comme il finit par faire son autocritique, on pourrait passer outre mais il y a deux trucs qui peuvent rebuter et donc faire perdre des points :

– la religion :
Uhtred est quelqu’un d’incroyant dans un monde croyant, et quelqu’un d’anti-chrétien dans une société chrétienne. Du coup il faut se farcir des pages et des pages de diatribes contre l’Église et le Clergé et c’est assez pénible. C’est même d’autant plus pénible qu’on fait de manière très anachronique du catholicisme bashing et du protestantisme cheering (il ne manquait plus que les remarques sur les perfides « papistes », et on aurait coché toutes les cases du bingo anglican). Je comprends maintenant pourquoi Bernard Cornwell est pote avec Brandon Sanderson le prosélyte mormon…

– les femmes :
Uhtred aristocrate guerrier considère que tout ce qui ne porte pas les armes, à commencer par les femmes, doit être dominé et exploité. Mais c’est tous les « mâles cis hétéro blancs » (sic) qui considèrent les femmes comme des trous à fourrer ou des ventres à engrosser, bref des terres à labourer (mais c’est aussi la troisième fois en trois tome qu’Uhtred tombe fou amoureux d’une belle-gosse avec pas mal d’archétypes des romans à l’eau de rose)… Ce qui me gêne c’est qu’ils considèrent aussi tous qu’une femme de 20 ans est déjà trop vieille pour qu’on puisse en user et qu’on précise bien l’âge de celles qui sont bonnes à marier ou à violer : 14 ans, 13 ans, 12 ans, 11 ans, 10 ans, 9 ans… Ah ça les viols sont fréquents, et c’est de manière très inquiétante que l’auteur semble banaliser tout cela pour les criminels comme pour les victimes (même chose pour leurs proches qui trouvent cela presque normal, genre le flegmatique et pragmatique père de famille qui précise à Uhtred que la chose qui pleure en boule dans un coin de sa maison est sa fille de 11 ans récemment violée par deux soldats danois). Et ça devient carrément glauque avec l’horrible sort de Thyra qui après avoir servi de vide-boules pour Sven le Borgne est réduite au rang de jouet sexuel pour la soldatesque de son père Kjartan le Cruel : elle devient folle avant de s’automutiler pour détruire sa beauté et qu’on la laisse enfin en paix… Trop souvent le grimdark devient un prétexte ou une excuse pour coucher sur papier des fantasmes plus ou moins malsains. Je croyais les écrivains et/ou les éditeurs britanniques épargnés par ce fléau venu d’Amérique, mais visiblement ce n’est pas le cas… Soupirs…

note : 7/10

Alfaric

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