H.P. Lovecraft
François Baranger (illustrations)

Les Montagnes hallucinées

1ère partie

Nouvelle, horreur / science-fiction
Publié en VF le 16 octobre 2019 chez Bragelonne
Publié en VO entre février et avril 1936 dans Astounding Stories (« At the Mountains of Madness »)

Au cours d’une expédition en Antarctique, deux scientifiques mettent au jour, derrière une chaîne de montagnes en apparence infranchissable, les vestiges d’une ancienne cité aux proportions gigantesques. Pendant cinq ans, un vénérable professeur d’université devient la proie d’étranges visions. Cherchant à comprendre ce qui l’a « possédé », il découvre en Australie des ruines plus qu’antédiluviennes cachées au regard des hommes. En visitant les dédales et recoins de ces lieux maudits, tous vont observer des fresques évoquant l’arrivée sur Terre d’entités d’outre-espace. Et constater que la menace de les voir reprendre le contrôle de la planète existe toujours…

Encore un beau livre, ici préfacé par Maxim Chattam, où le texte d’Howard Phillips Lovecraft est traduit par Arnaud Demaegd et illustré par François Baranger. J’avais cannibalisé ma critique de la nouvelle pour l’adaptation manga de La Couleur tombée du ciel, ce coup-ci je vais cannibaliser ma critique de l’adaptation manga pour la nouvelle d’origine Les Montagnes hallucinées.

Tout commence en 1838, quand Edgar Allan Poe surprend tout le monde en publiant Les Aventures d’Arthur Gordon Pym de Nantucket, une histoire inachevée racontant une exploration polaire aux frontières du réel : c’est un choc culturel qui marque Jules Verne, Jorge Luis Borges, Gaston Bachelard et Howard Phillips Lovecraft… Le Maître de Providence qui a révolutionné le genre fantastique reprend et transcende le récit d’origine pour le transposer dans son propre imaginaire horrifique : c’est un nouveau choc culturel qui inspire John W. Campbell, Christian Nyby, John Carpenter et Gô Nagai…

Le récit d’HPL se veut une suite directe de celui d’EAP, mais les variations sur le thème sont désormais tellement nombreuses qu’il faut bien connaître toute les œuvres concernées pour identifier les apports de tel ou tel auteur dans les nouvelles versions de ce qu’il faut bien appeler un Mythe (et ici malgré tous les codes du récit d’exploration à l’ancienne, impossible de ne pas être plonger dans le film d’horreur moderne de John Carpenter) : l’homme qui confronté à l’inconnu se retrouve confronté à lui-même ! Et dans Les Montagnes hallucinées c’est loin du soutien et du réconfort de la civilisation qu’en 1931 des pionniers à la fois aventuriers et intellectuels, quelque part les meilleurs des leurs, font une terrible « rencontre du troisième type » en découvrant dans la douleur que l’homme n’est pas la mesure de toutes choses, qu’il n’a pas été créé par Dieu à son image, qu’il n’a pas été placé au centre d’un univers créé pour son bon plaisir, bien au contraire face à l’immensité du temps et de l’espace les hommes ne qu’une espèce parmi d’autres et l’humanité est très loin d’être la plus évoluée, faisant figure de fourmi par rapport à des géants cosmiques !

A l’image des Martiens de H.G. Wells qui faisaient subir aux Anglais ce que les Anglais avaient fait subir aux Aborigènes d’Océanie, les Choses Très Anciennes d’Antarctique font subir aux Américains que ce que les Américain ont fait subir à leurs découvertes… Mais HPL va plus loin encore en s’inspirant du Mythe de Frankenstein avec des êtres antédiluviens à la fois bourreaux et victimes : tout pouvoir rencontre un jour un pouvoir plus grand encore, et en jouant aux apprentis sorciers les Choses Très Anciennes ont provoqué leur propre perte…

Ce sera mon dernier mot. Si les signes évidents de la survivance d’horreurs antédiluviennes que j’aurai divulgués ne suffisent pas à dissuader les autres de toucher au cœur de l’Antarctique – ou tout du moins de fouiller trop profondément sous la surface de ce suprême désert des secrets interdits où règne une éternelle et inhumaine désolation –, on ne pourra me tenir pour responsable des malheurs innommables et peut-être incommensurables qui s’ensuivront.

Nous sommes dans l’entre-deux-guerres, et les expéditions se succèdent vers le Pôle Sud pour combler sur le continent blanc les derniers blancs des cartes du monde… Nous suivons celle de l’Université Miskatonic du Massachusetts, financée par la fondation Nathaniel Derby Pickman, quatre professeurs, seize étudiants diplômés, leurs assistants et cinquante cinq chiens qui partent avec deux bateaux et quatre avions. Tout se passe bien, et après avoir établi leur base sur les pentes du volcan Erebus l’équipe du Professeur Lake s’envole pour découvrir un chaîne de montagnes noires, et à l’intérieur des cavernes de celles-ci les reliques de formes de vie inconnues jusqu’à ce jour propres à bouleverser l’Histoire de la Terre ! La découverte aurait eu le même retentissement sur la biologie que les découvertes d’Einstein en avaient eu sur les mathématiques et la physique, si elles ne correspondaient pas à d’inquiétants mythes archéens qui finissent par revenir à la vie…

On retrouve le schéma lovecraftien type avec narration indirecte et à posteriori du récit :
avec un personnage à la fois acteur et conteur desdits événements qui veut mettre en garder le monde entier en général et ses lecteurs en particulier contre les vérités qu’il ne faut révéler à l’humanité. Personnellement je trouve que ça met beaucoup de distance entre le lecteur et le récit, en plus de tout spoiler à l’avance puisqu’on commence carrément par le dénouement… (et quand on passe à la narration directe, ça donne The Thing de John Carpenter un film d’horreur culte souvent copié mais rarement égalé)
On retrouve le style lovecraftien type avec ses répétitions, qui ici sont nombreuses :
les mirages froids offrant des visions oniriques ou cauchemardesques, le vent dont le son prend la forme d’une flûte sauvage, les traces archéennes, les légendes antédiluviennes, les ruines cyclopéennes, les formes non euclidiennes, les allusions aux tableaux de Nicholas Roerich, le lore lovecraftien avec diverses allusions aux différents éléments du Mythe de Cthulhu (avec des emprunts à ses amis épistolaires qu’on connaît bien : Lord Dunsany, Abraham Merritt, R.E. Howard, Clark Ashton Smith et tutti quanti)…

L’auteur a toujours préféré un gros travail de documentation plutôt que de raconter par le menu les conditions et les tribulations de l’Américain moyen (en cela Stephen King est à la fois son plus grand admirateur et son plus grand adversaire, s’il se pose en héritier il passe quand même son temps à trahit son modèle), et une fois de plus cela se ressent bien malgré quelques limitations : quand il parle de montagnes de 10000 mètres et de plateaux de 6000 mètres en Antarctique, en se référent à l’alpinisme on voit bien que ni l’enfer blanc ni le toit du monde n’ont pas encore été conquis par l’homme à la date où il écrivait. Mais si on commence direct avec un hommage à au récit d’Edgar Allan Poe, j’ai plus eu l’impression que Le Horla déboulait chez Jules Verne avec toutes ces descriptions techniques (ou qu’avec toutes ces descriptions paysagères Le Monde perdu déboulait chez H.G. Wells).

 

Et les illustrations de François Baranger ? Comme d’habitude du bonbon pour les yeux, mêmes si ici elles sont peu variées puisqu’on alterne l’enfer blanc et les cauchemars noirs mais c’est raccord avec la 1ère partie du récit… Gageons que l’artiste aux multiples talents aura davantage matière à s’exprimer avec la 2e partie !

PS: après j’ai quand même des interrogations éditoriales car on avait annoncé L’Abomination de Dunwich, et finalement on édite Les Montagnes hallucinées en 2 parties juste après la version manga de Gou Tanabe de qualité, en 2 parties elles aussi… Comme les porte-monnaie ne sont pas extensibles même pour les passionnés, ne c’est vraiment pas très malin que de donner un concurrent à son produit alors que c’était parfaitement évitable !

note : 8/10

Alfaric

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