Stefan Wul

La Mort vivante

Roman, science-fiction / horreur
Publié en 1958 chez Fleuve Noir

Loin de la terre désertée, Joachim désire poursuivre des recherches biologiques en un temps où le Consistoire l’interdit, car, désormais, la hiérarchie religieuse a reconquis sa toute-puissance. Il fuira donc une planète d’exil pour poursuivre ses travaux en toute liberté. Martha a vu mourir sa fille. Elle dispose de la puissance et de la fortune. Joachim ne peut ressusciter la fille de Martha, mais, peut-être est-il en son pouvoir d’en créer, l’exacte réplique. Au risque de déchaîner « la mort vivante ».

Depuis leurs origines Science-fiction et fantastique s’accordent bien ensemble : du Frankenstein de Mary Shelley au Je suis une Légende de Richard Matheson, en passant par Edgar Allan Poe, H.G. Wells, Robert Louis Stevenson ou les univers de H.P. Lovecraft (et tous les autres dont les noms ne me sont pas revenus bien entendu). Avec La Morte vivante, Stefan Wul prouve en 1958 que la littérature française n’a à envier aux Anglo-Saxons dans ce domaine. Le récit se divise en 3 parties qui peu à peu vont amener lecteurs et lectrices de la hard science à l’horreur pure et dure.

Dans la 1ère partie très scientifique, nous faisons la connaissance du Maître-Bio vénusien Joachim, qui a bien de mal à mener ses recherches avec la censure voire l’inquisition exercée par les autorités théocratiques qui voit ses expérimentation comme des horreurs biologiques. Ce dernier est alors obligé de se tourner vers les reliques du lointain passé terrien et de consulter des ouvrages considérés comme maudits par ses supérieurs… Lovecraft Power ?

C’est à ce moment qu’il est engagé plus ou moins de force pour sauver la fille empoisonné d’une mécène terrienne. Il arrive trop tard sur Terre pour mener sa mission… Mais son employeuse Martha ne souhaite pas en rester là et souhaite collaborer avec lui pour redonner vie à sa défunte fille Lise par la magie du clonage. La tentation est trop forte pour le Maître-Bio, dont la curiosité a été trop longtemps bridée, de repousser les limites de la science. On va donc aborder toutes les thématiques liées au clonage, entre débat éthiques et conséquences psychologiques.

– La Science, dit-il à haute voix, n’est pas si mauvaise. Sans la Science, Vénus n’aurait jamais été habitable. Ce sont des savants qui ont régularisé son climat autrefois.
Quoique très en colère, il eut l’impression de blasphémer, tandis qu’une voix intérieure lui disait : sans la Science et les savants, la Terre serait toujours habitable et l’Homme n’aurait pas eu besoin d’émigrer.

Dans la 2e partie nous glissons dans le fantastique avec ces enfants aux capacités inquiétantes et à l’évolution accélérée contre-nature. D’autant plus qu’elle tracent des figures cabalistiques qui ressemblent à d’étranges équations… Joachim met tout son savoir pour extirper la partie pas vraiment humaine d’une des clones de la fille de Martha, mais ces 6 « sœurs » vont tout mettre en œuvre pour se débarrasser de celle qui est devenue pour elle une « l’étrangère ». Et plus le temps passe et plus les enfants semble échapper au commun des mortels d’abord, à toutes formes de contrôle ensuite…
Ceux qui ont apprécié Le Village des damnés de John Wyndham (1957), Rosemary’s Baby d’Ira Levin (1967) ou encore le film La Malédiction de Richard Donner (1976), seront ici comme des poissons dans l’eau. D’ailleurs dès le départ le château de Martha dans les Pyrénées ressemble peu ou prou à celui de Dracula dans les Carpates, et ce n’est pas son serviteur hideux et silencieux et Ugo / Igor ou ses araignées domestiques géantes qui viennent dépareiller l’ambiance gothique…

Dans la 3e partie est révélé le secret des sœurs jumelles, relié aux légendes d’Héraklès et de Pyréné, aux mystérieuses inscriptions des vieilles dalles du château, et aux sombres souterrains qui se cachent en dessous… Joachim et Martha, en train de sombrer dans la folie, cherchent à échapper à une horreur lovecraftienne qui nous rappelle aux bons souvenirs des adaptations de The Blob (1958 et 1988, d’après le roman de Kay Linaker et Theodore Simonson) et de The Thing (1951, 1982, et 2011 d’après la novella Who Goes There ? de John W. Campbell Jr.). On est dans le survival horrifique lovecraftien, donc on sent arriver l’inéluctable fin.

Et apprend dans les dernières phrases du roman qu’on ne nous a pas raconté ce qui est arrivé, mais ce qui va ses passer, puisque que tout est narré par Shadan de Deimos, le shaman consulté par Matha sur Mars dans l’espoir de sauver Lise 1 des influences néfastes de ses sœurs. Shadan sonne comme Shaitan, le nom de Satan en arabe. Deimos est satellite de Mars, dieu grec de la violence, signifiant « terreur » en grec… Tout un programme, n’est-ce pas ?
Je reprocherai quand même à l’auteur, outre le côté un peu capillotracté des événements par lesquels le malheur arrive, d’avoir placer son histoire dans un univers space-opera qui ne sert pas à grand-chose. L’histoire aurait démarré à l’université Miskatonic dans le Massachusetts, cela aurait sans doute été tout aussi bien… Car le démarrage très science-fiction jure avec la suite du roman très horreur, mais il est là pour que le Joachim révise progressivement puis totalement ses considérations sur la science et les scientifiques.

 

PS : pas mal de référence cinématographiques pour cette critique, mais pour votre gouverne sachez qu’Hollywood voulait acheter les droits du roman pour le porter à l’écran et en confier les clés au légendaire pionnier du fantastique italien Mario Bava, mais les pontes de Robert Laffont, décidément jamais dans les bons coups car ayant toujours une guerre de retard, ont refusé l’offre sous prétexte que la SF au cinéma c’est naze et cela ne peut pas marcher. Heureusement La Planète des singes de Pierre Boule n’eût pas à souffrir des préjugés de l’intelligentsia franco-française, parce que sinon c’était à désespérer… (Gros soupirs.)

note : 8,5/10

Alfaric

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