Jean-Pierre Pécau (scénario)
Alessia de Vincenzi (dessin)

Reines de sang :

Njinga, la Lionne du Matamba, tome 1

(pour public averti)

 

Bande dessinée, histoire / XVIIe siècle
Publiée le 30 septembre 2020 chez Delcourt

Au XVIIe siècle, dans ce qui allait devenir l’Angola, une puissante reine d’Afrique centrale, Njinga, ne recule devant aucun moyen pour préserver son territoire des Portugais.
À la tête d’une armée de guerriers dont les célèbres Amazones, la reine Njinga mène un combat sans merci contre les envahisseurs blancs. Elle décide même de rejoindre la secte terrifiante des cannibales Bangalas afin de contrer un ennemi mieux armé. Elle sait, en fin stratège, jouer de diplomatie pour conserver l’indépendance de son pays face aux colonisateurs trafiquants d’esclaves.​

Comme le disait Nicolas Sarkozy « l’Afrique n’a pas d’Histoire », et comme le disait Emmanuel Macron « les Africains n’ont pas de passé ». Hein, quoi ? En gros bourgeois pétris de gros préjugés, ils nous auraient menti à l’insu de notre plein gré ??? On ne s’ y attendait pas du tout, quelle déception… (ironie inside évidemment)

Bref, ça fait de bien de lire un récit qui tord le cou à toutes ces mentalités nostalgiques du colonialisme qui fleurent mauvais le suprématisme. Nous suivons au XVIIe siècle la résistance de Njinga à la colonisation portugaise dans ce qui allait devenir l’Angola. Nous avons d’un côté le gouverneur Luis Mendes de Vasconcelos, remplacé par son fils João car les élites occidentales sont forcément héréditaires, qui utilisent comme mercenaires les cannibales bangalas pour semer la terreur et récupérer des esclaves à peu de frais. Et d’un autre côté nous avons celle que les chroniques occidentales nomment Ana de Sousa Nzinga Mbande et que les chroniques africaines nomment Njinga du Ndongo et du Matamba, prête à tout et au reste pour prendre, conserver et agrandir son pouvoir en boutant les « visages pâles » hors d’Afrique (quitte à s’allier avec les Hollandais contre les Portugais).

– Racontez-moi votre royaume, Dona, ce qu’en se comprenant que nous pourrons faire la paix. Comment est votre roi ? C’est votre frère, n’est-ce pas ? Ce doit être un homme très sage.
– Très sage, oui. Il a massacré toute sa famille pour accéder au trône !

Nous découvrons sans surprise des Portugais qui ne veulent parlementer qu’avec des gens blanc, chrétiens, et lusitanophones… à charge pour les Africains d’apprendre leur langue, de se convertir à la religion chrétienne, et de se recouvrir le visage de farine. C’est aussi raciste que ridicule, mais le suprématiste est par définition raciste jusqu’au ridicule ! L’Occident c’est le Roi et l’Église, la Papauté et les Jésuites, chacun avec des objectifs différents voire contradictoires (ceux qui ont déjà vu le fabuleux film The Mission savent) : si Dieu est amour, pourquoi les Chrétiens viennent tuer les Africains ?

Nous découvrons, j’imagine certains avec surprise, que l’Afrique plus qu’un continent est une mosaïque de peuples, de pratiques et de croyances, et que les Africains n’ont nul besoin des Blancs pour s’entre-tuer les uns les autres, s’exploiter les uns les autres, et pour pratiquer l’esclavage comme système à grande échelle. Après je ne connais pas assez bien l’Histoire du continent africain pour savoir si on est dans les clichés ou dans la réalité, mais les games of thrones africains semblent tous passer par les cases sexe et violence avec trahisons et mutilations car les Caligula / Constantin africains semblent légions (païens et chrétiens ont totalement égaux dans la dégueulasseries, car pour avoir le pouvoir les mêmes causes produisent les mêmes effets)…

 

Alors oui Njinga est belle, intelligente, grande diplomate car aussi grande oratrice que manipulatrice, grande souveraine car son ego est aussi grand que ses ambitions. Tare originelle de la série on retrouve tous les archétypes de la femme de pouvoir, qu’ils soient bons (rarement) ou mauvais (souvent). Mais elle a régné de 1631 à 1663, donc j’ai hâte de voir ce qu’on va mettre en scène dans le tome 2 car il y a largement matière à raconter !

Sur la forme les dessins d’Alessia de Vincenzi chaudement colorisés par Nuria Sayago sont initialement séduisants, mais au fil du temps on comprend qu’ils manquent de précision voire d’homogénéité (en bref tout cela demande à s’améliorer). Sur la forme Jean-Pierre Pécau reste un scénariste efficace toujours très doué pour les dialogues enjoués véritables mines à citations, et en spécialiste de la Série B il ne résiste pas à la tentation de mettre en scène un certain Capitaine Alatriste qui ne sait pas à quels saints se vouer…

note : 7+/10

Alfaric

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